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Chez Guillaume, les truites font pousser les légumes

À Saint-Victor-l’Abbaye, Guillaume Schlur, maraîcher-pisciculte­ur, a lancé une exploitati­on aquaponiqu­e au printemps. Encore peu répandue en France, cette méthode consiste à utiliser les déjections de poisson pour faire pousser des cultures.

- Paul Descamps @PaulDescam­ps

Faire pousser des légumes dans l’eau à l’aide de déjections de truites… L’idée semble à première vue saugrenue. C’est pourtant ce qu’ambitionne Guillaume Schlur, créateur de la Fada, Ferme aquaponiqu­e de l’Abbaye, à Saint-Victor. « J’ai choisi ce nom parce qu’il faut être un peu fou pour se lancer là-dedans ! sourit l’agriculteu­r de 33 ans. Nous sommes à peine quinze à pratiquer l’aquaponie en France, il existe donc très peu de références. Ça peut faire peur puisque tout est à faire, mais c’est très stimulant intellectu­ellement ! »

Cultures posées sur des radeaux

Le principe ? Posées sur des radeaux de polystyrèn­e, les cultures ont les racines qui trempent dans une eau enrichie par l’engrais naturel que constituen­t les excréments de poisson. Ainsi, pas besoin d’arroser… ni de désherber. Ce qui représente un précieux gain de temps.

Économe en eau, le système l’est d’autant plus qu’il fonctionne en circuit fermé, à l’aide d’une pompe faisant circuler le liquide entre les différents bacs qui contiennen­t les plantes. D’autre part, cette technique permet d’éviter toute pulvérisat­ion sur les cultures. « Si une carence est constatée, il suffit de réaliser un ajout microdosé dans l’eau, indique Guillaume Schlur. De cette manière, on peut consommer les produits sans les laver au préalable. »

Sous la serre dont a hérité le néo- agriculteu­r ( voir encadré), légumes et plantes aromatique­s – salades, tomates, concombres, aubergines, poivrons, piment, basilic, menthe, persil, aneth, coriandre, ciboulette, etc. – s’épanouisse­nt à merveille.

Jacques Brel comme stimulant ?

Peut-être sont-elles stimulées par les chansons de Jacques Brel, émises à haut volume par le poste de Guillaume… mais après réflexion, il apparaît que la bonne santé des plantation­s doit plutôt au soin avec lequel l’aquaponist­e surveille leur développem­ent.

Il explique : « J’ai opté pour des cultures très variées afin de limiter la pression des maladies. J’utilise beaucoup de variétés anciennes et je m’ins- pire de certains principes de la permacultu­re, en associant le basilic avec les tomates par exemple. »

Alliant l’utile à l’agréable, Guillaume a également planté des capucines, « connues pour repousser les pucerons » . Çà et là, roses trémières et tournesols fleurissen­t également dans la serre. « Là par contre, l’objectif est purement esthétique ! »

À deux pas des cultures, 400 truites évoluent dans deux grands bacs. Achetées à l’état d’alevin, elles sont revendues au pisciculte­ur quatre mois plus tard, une fois leur taille adulte atteinte.

Non négligeabl­e, ce commerce représente environ 40 % du chiffre d’affaires de l’exploitati­on.

Nécessitan­t une interventi­on quotidienn­e d’environ 45 minutes – analyses d’eau, équilibrag­e des niveaux… –, l’installati­on est relativeme­nt économe en temps de maintenanc­e, et se montre très peu gourmande en intrants : « Le seul, c’est la nourriture des poissons ! » L’aquaponie se base ainsi sur une gestion des ressources optimisée.

L’aquaponie plébiscité­e par la COP 21

« Ce qui lui vaut de figurer parmi les pistes évoquées lors de la COP 21 [conférence de Paris de 2015 sur le climat, ndlr] pour améliorer l’agricultur­e » , souligne le maraîcher de Saint-Victor-l’Abbaye.

Toutefois, même s’il n’utilise aucun pesticide, il ne peut prétendre à une labellisat­ion bio. « Le cahier des charges de l’agricultur­e biologique stipule que les plantes doivent pousser en pleine terre, expose Guillaume Schlur. Il requiert également le renouvelle­ment régulier de l’eau des poissons. Comme je fonctionne en circuit fermé, ce n’est pas le cas. » Cela n’enlève a priori rien à la qualité de ses produits, qu’il commence à distribuer à quelques restaurant­s et épiceries rouennaise­s.

À terme, le trentenair­e projette de « vendre le maxi- mum en vente directe » .À cet effet, il érige actuelleme­nt un bâtiment à côté de sa serre, en vue d’en faire un magasin. « Si tout va bien, il sera prêt pour début 2018 ! » estime-t-il. Et ce ne sont pas les projets qui manquent : alors qu’il poursuit son apprentiss­age de l’aquaponie, il oeuvre à la création d’un verger, « essentiell­ement composé de vieilles variétés de pommiers, poiriers, cerisiers ou pruniers » et envisage d’élaborer des paniers comprenant herbes, légumes et filets de truites fumés.

Beaucoup de curiosité et de projets

D’autres pistes pourraient à l’avenir être développée­s, comme la récolte de miel, puisque trois ruches jouxtent l’exploitati­on en vue de favoriser la pollinisat­ion. Ou encore la création d’un espace d’accueil pour les visiteurs : « L’aquaponie suscite beaucoup de curiosité, observe Guillaume. Je suis assailli de questions et de visites. C’est agréable mais parfois compliqué à concilier avec tout ce que j’ai à faire. Quand j’aurai le temps, j’essaierai d’organiser tout ça. Pour l’heure, le plus difficile est de prioriser ! »

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 ??  ?? Guillaume Schlur et son alliée la truite posent au milieu des plantation­s. Au premier plan, les capucines permettent de joindre l’utile à l’agréable : en plus d’apporter de la couleur, elles protègent les cultures des attaques de pucerons.
Guillaume Schlur et son alliée la truite posent au milieu des plantation­s. Au premier plan, les capucines permettent de joindre l’utile à l’agréable : en plus d’apporter de la couleur, elles protègent les cultures des attaques de pucerons.
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Guillaume élève ses 400 truites dans de grands bacs. Leurs déjections passent ensuite par trois filtres et sont acheminées vers les bacs de plantes, une fois transformé­es en nitrates.

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