Fin des quotas : « Une carte à jouer » pour la sucrerie
En ce mois d’octobre, le système de quotas pour le sucre mis en place par 19 États de l’Union européenne a pris fin. Patrice Petit, directeur de la sucrerie de Fontaine-le-Dun, explique les conséquences de cette décision pour la sucrerie et les agriculteu
Patrice Petit est le directeur de la sucrerie de Fontaine-le-Dun depuis avril 2016. Il a suivi des études à l’école nationale supérieure des industries agricoles et alimentaires et a fait carrière dans la sucrerie : chef de labo, ingénieur, maintenance, fabrication.
Il dirige des sucreries depuis 2005. Il préfère évoquer son métier en tant que technicien, avec passion. Il présente les rouages du procédé de production industrielle du sucre qui, cette année, va faire tourner l’usine 140 jours sans interruption. Mais l’actualité est celle de la fin des quotas et c’est sur cette question, plus politique, que le directeur est sollicité. Le système de quotas mis en place en 1968, qui limitait à 13,5 millions de tonnes la production répartie entre 19 États membres de l’Union européenne, a été supprimé le premier octobre 2017. Ainsi que les restrictions à l’exportation imposées par l’Organisation mondiale du commerce. Qu’est-ce que cela signifie ?
Patrice Petit : Avec la suppression des quotas européens, le sucre entre dans un marché ouvert et concurrentiel. Auparavant, le prix du sucre en Europe était protégé, n’étant pas influencé par le cours mondial. La libéralisation du marché à l’international change l’échelle. Désormais, c’est le prix mondial du sucre qui s’impose. Le prix mondial du sucre est bas. Comment faitesvous pour faire face à la libéralisation du marché ?
En effet, la météo ayant été très favorable au niveau mondial, la récolte et la production en sucre l’année dernière ont été très bonnes. Ce qui a fait plonger le marché du sucre.
Évidemment, nous avons anticipé la suppression des quotas annoncée dès 2013 et nous avons décidé d’augmenter la production, à l’instar des sucreries européennes, de 25 % à Fontaine, afin d’amortir le prix de revient du sucre. Mais également pour amortir le coût de l’usine qui coûte très cher. Ne tournant que 100 jours par an, il faut amortir les coûts de maintenance, les charges fixes. La campagne a donc débuté au mois de septembre et durera jusqu’à fin janvier, un mois plus tard que l’année dernière. Il a donc fallu que les agriculteurs produisent davantage de betteraves… Et leur rémunération ?
Les surfaces à emblaver sont passées de 10 000 ha à 13 000 pour cette année, mais le nombre de planteurs n’a pas augmenté. Il y a 1 300 planteurs en Seine-Maritime. Les agricul- teurs sont toujours avertis un an avant la prochaine campagne afin qu’ils puissent connaître la surface à emblaver. Le contrat a donc été signé au mois de décembre 2016 et fixé à 27 € la tonne de betterave.
À Cristal Union, qui est une coopérative, la coordination entre les agriculteurs et la sucrerie est parfaite. Ce sont eux les actionnaires et les propriétaires de la coopérative. La sucrerie ne réalise pas de bénéfice. Des propositions sont faites au conseil de surveillance de la coopérative, puis, ils votent et décident. Ils ont bien compris que pour lutter sur le marché mondial, il fallait baisser les prix et que la sucrerie devait produire davantage. C’est surtout le taux de sucre qui pèse dans la betterave et dont dépend la rémunération du planteur…
En effet, et cette année les belles levées promettent de belles récoltes en perspective, supérieures à 15 tonnes de sucre par hectare. Nous sommes proches du record atteint en 2015 et au-dessus de la moyenne des cinq dernières années.
En outre, les semences sont meilleures d’année en année et le réchauffement climatique sur des terres déjà propices à la culture betteravière favorise d’autant plus le rendement. Le rendement français étant le plus élevé de l’Union européenne. 25 % de production supplémentaire qu’il va donc falloir écouler. Comment vous situez-vous sur le marché international, par rapport au Brésil, le plus gros producteur de sucre au monde ?
Puisqu’est levé le plafonnement à l’exportation sur le marché mondial, nous allons devenir exportateurs. Du sucre livré au Havre partira pour l’exportation aux pays tiers (en développement) dont la consommation en sucre s’accroît. Une différence de taille, c’est que nous produisons du sucre de betterave naturellement blanc qui contrairement au sucre de canne que produit le Brésil ne connaît pas l’étape de raffinage. De plus, les grands industriels agroalimentaires veulent un sucre de qualité et le même partout, dans tous les pays. L’industrie française dispose d’un sucre de qualité (sucre blanc cristallisé, le plus pur qui soit sur le marché pour Cristal Union), de certifications et d’une traçabilité irréprochable. Y a-t-il des investissements relatifs à l’allongement de la campagne sucrière ?
L’augmentation de la production en suscitant un prolongement de la campagne sucrière jusqu’à fin janvier, va nécessiter un nouvel investissement à la sucrerie puisque les betteraves arrachées qui seront stockées en bout de champ et ne seront pas livrées à la sucrerie avant le 15 décembre (un tiers de la production totale), seront recouvertes de bâches spéciales au cours du mois de novembre afin d’être conservées et tenues à l’abri du gel. Comment envisagez-vous l’avenir du sucre ?
Il bénéficie de l’augmentation de la population mondiale et de la consommation qui l’accompagne. Désormais, étant sur le marché mondial, nous nous attendons à des fluctuations, des tendances variables, des hauts et des bas. Pas forcément un avenir tout rose. Mais cette suppression des quotas représente pour nous une carte à jouer.