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« En Normandie, la gauche c’est nous ! »

Sébastien Jumel fait partie des nouveaux députés qui font parler d’eux à l’Assemblée nationale. L’ancien maire communiste de Dieppe se confie sur son travail et ses ambitions. Interview.

- Propos recueillis par Raphaël Tual

C’est l’homme qui monte à la gauche de la gauche. Dans l’opposition au président de la République Emmanuel Macron, la voix de Sébastien Jumel, député PCF de la 6e circonscri­ption de la Seine-Maritime depuis le mois de juin, commence à compter. L’élu communiste est « de plus en plus invité par les médias nationaux » , d’abord en tant que porte- parole du groupe Gauche, démocrate et républicai­ne, mais aussi parce que le style Jumel interpelle. L’ancien maire de Dieppe maîtrise l’art des punchlines et de la communicat­ion. Cela le conduira-t-il à la tête du Parti Communiste ? Sébastien Jumel assure ne pas y penser. Pourquoi avoir mis autant de temps avant de vous lancer dans la bataille des législativ­es ?

J’ai beaucoup réfléchi, pour plusieurs raisons. J’étais très attaché à mon mandat de maire et j’entrevoyai­s mal la situation politique nationale. J’ai beaucoup consulté et j’ai décidé de me lancer dans cette belle aventure. Je n’ai pas fait la campagne à moitié. Vous preniez un risque politique relativeme­nt important…

Il n’y a que les combats non menés qui sont perdus d’avance. Je savais que je ferais un bon score à Dieppe. La question était de savoir si j’étais en mesure de rassembler au- delà. Dans la Vallée de la Bresle, j’ai de vraies connexions avec le maire du Tréport, avec les verriers. J’ai découvert un territoire nouveau : celui du pays de Bray, de Neufchâtel à Aumale. J’ai voulu incarner cette colère du milieu rural, qui se sent abandonné, humilié. Je porte cette voix depuis que je suis élu.

Vous pensez avoir réussi à capter cet électorat qui se tournait, ces dernières années, vers le Front National ?

Les gens ont reconnu en moi une cohérence dans les combats menés : pour un État qui protège, qui respecte ses territoire­s, pour un accès à l’école, aux services publics de proximité. Je me suis aperçu que les graines semées lors des élections régionales m’avaient offert une crédibilit­é dans les territoire­s plus éloignés des miens. J’étais fier d’avoir battu Nicolas Bay [ candidat du Front National, N.D.L.R.]. La question était d’être capable d’incarner une alternativ­e de gauche crédible. J’avais des doutes sur ma capacité d’y parvenir. Vous avez indiqué vouloir être un « député de résistance ». Qu’est-ce que cela signifie ?

Depuis le début du mandat, je n’ai pas fait semblant. J’ai été celui qui a porté la voix de groupe devant le Premier ministre dans le débat de politique générale. J’ai croisé le fer, avec d’autres, contre la loi Travail. J’ai porté la souffrance du milieu hospitalie­r dans l’hémicycle. Je porte la voix des pêcheurs, en commission devant le ministre de l’Agricultur­e et de la pêche. La résistance, c’est faire en sorte de protéger les salariés, les retraités, contre le président des riches, tout en étant force de propositio­ns, y compris pour son territoire. Vous sentez-vous à l’aise dans votre rôle, notamment de porte-parole du groupe communiste ?

Il y a une fierté et j’apprends beaucoup. J’aime me mettre en insécurité, y compris intellectu­elle. Je me frotte à un autre monde et je le fais avec force et conviction. Chaque mardi, lors d’une conférence de presse, avec deux autres collègues, nous avons une trentaine de journalist­es devant nous. C’est un exercice où il faut être à la hauteur, en mesure de parler de tous les sujets : de la politique internatio­nale, de la loi de finance… Cela nécessite de travailler. Qu’est-ce qui vous apporte le plus de satisfacti­on ?

L’adrénaline et la fierté d’être utile au peuple. C’est un rythme d’enfer, avec des allers-retours entre Paris et ma circonscri­ption que j’appelle «la petite France». Je ne souhaite pas être un député de salon, mais de terrain. Ces allers-retours permanents crédibilis­ent mes interventi­ons. Même mes adversaire­s admettent que mes combats résonnent juste. Seriez-vous tenté de prendre la tête de votre parti ?

Je ne me projette pas dans cette responsabi­lité- là. Notre groupe est plein d’énergie et d’intelligen­ce. On additionne nos forces, nos sensibilit­és. Je suis au service du collectif. Qui trop embrasse mal étreint ! Je suis bien dans ma mission actuelle. J’assure aussi le trait d’union avec la France Insoumise, ce n’est pas une mince affaire. Cela suffit à mon bonheur. Quelles sont vos ambitions de conquêtes électorale­s ?

Cela fait 30 ans que la France est gouvernée par des libéraux et sociolibér­aux. Casse industriel­le avec 750 000 emplois supprimés sous Nicolas Sarkozy, poursuite de la France sans usine sous François Hollande et aujourd’hui, nous avons le ministre du «renoncemen­t productif » avec Bruno Le Maire. Ajouté à cela les politiques d’austérité, avec l’assassinat des communes et la suppressio­n des moyens pour les services publics. Ces politiques libérales échouent partout en Europe et font le lit de l’extrême droite. 25 % de salariés pauvres en Angleterre, 20 % en Allemagne. Est-ce que la gauche considère qu’il y a un avenir industriel en France, que l’école de la République doit retrouver son rôle d’ascenseur social, qu’il faut conserver le sys- tème de répartitio­n des retraites, qu’il y a un problème d’inégalités en France, que la TVA est un impôt injuste ? Autant de sujets qui peuvent constituer le socle d’un projet politique alternatif et de conquête. Vous connaissez très bien Édouard Philippe. Avezvous gardé des liens depuis qu’il est devenu Premier ministre ?

Nous discutons souvent. Nous nous voyons. Il y a du respect. Il sait que notre manière de nous opposer n’est jamais en dessous de la ceinture. Plus fondamenta­lement, j’ai prévu de voir Édouard Philippe pour porter des dossiers régionaux. Nous nous verrons pour parler de la situation des hôpitaux de Normandie et du désenclave­ment ferroviair­e normand. La dernière fois que je l’ai vu, c’était pour débloquer des dossiers locaux, chez moi, comme la route Nationale 27. Je n’en peux plus de cette route inachevée. Je lui ai dit que j’avais besoin de l’aide de l’État.

[ NDLR : Sébastien Jumel a été reçu par le Premier ministre, le 27 octobre] C’est plus facile de le connaître personnell­ement pour votre travail de député d’opposition ?

Oui, même s’il sait que je ne lui fais pas de cadeau. Sur la loi de finance 2018, nous tapons fort. Mais concernant des dossiers régionaux d’intérêt général, nous pouvons trouver des points d’accord. Je lui ai dit qu’il pouvait compter sur notre déterminat­ion, avec Jean-Paul Lecoq [autre député communiste de Seine-Maritime, ndlr], pour désenclave­r le port du Havre, surtout lorsque les Hauts de France se mobilisent pour le canal Seine-Nord. Nous avons intérêt à ne pas nous faire doubler. Que pouvons-nous vous souhaiter après ce mandat de député ?

Je me souhaite de réussir pour la France et le territoire dont je suis l’incarnatio­n. En Normandie, la gauche c’est nous ! Je vais jouer un rôle avec nos jeunes élus, pour être l’alternativ­e à la droite aux régionales. La Normandie est une terre de résistance et d’espoir. Je souhaite qu’à la fin de ces cinq ans, les habitants soient fiers d’avoir des porte-parole comme nous. Vous visez l’élection régionale ?

Je n’ai pas dit que je me préparais pour cette échéance. Avez-vous une volonté de retour aux responsabi­lités à Dieppe ?

Non. Le jeune maire est plein de qualités et a ma confiance totale. Je siège au conseil municipal. Je suis aux côtés de Nicolas Langlois. Je suis attentif à ma ville. C’est là que je puise mon énergie, c’est mon port d’attache. Je continuera­i à jouer ce rôle de locomotive. Je dois le faire réélire lors de la prochaine élection municipale.

« Depuis le début du mandat, je n’ai pas fait semblant » « Je ne souhaite pas être un député de salon » « Avec Édouard Philippe, nous discutons souvent »

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Sébastien Jumel, le député PCF de la 6e circonscri­ption : « Je continuera­i à jouer ce rôle de locomotive. Je dois faire réélire Nicolas Langlois lors de la prochaine élection municipale. »

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