Mise à l’abri !
Les pioches ont commencé à mordre le terrain à peine dégagé des décombres ! Nous sommes le lundi 15 mars 1886. Dieppois et Polletais regardent cette drôle de scène. C’est aujourd’hui que l’on attaque le creusement du futur chenal.
Pour les habitants du Pollet, c’est le constat d’une marche inexorable qui a sacrifié leur quartier. Les habitants de la rue des Trois-Marmots, de la place Bourdin, de la rue aux Pitauts ont vu leurs maisons rasées. Contraints de déménager, c’était un spectacle affligeant que de voir leurs pauvres objets du quotidien – paniers, hottes, vaisselle et vêtements – entassés sur le pavé des rues condamnées.
Beaucoup ont dû se résoudre à occuper les gobes dans la falaise toute proche. Hommes, femmes et enfants, cueilleurs de moules, hottières, porteuses de poisson, pêcheurs de crevettes vivent désormais là tant bien que mal dans ces abris insalubres. Par la force des choses, les gobiers ressuscitent une époque que l’on croyait révolue et les langues se délient.
Les plus anciens se souviennent encore de la mère Babet qui avait autrefois occupé les gobes du Pollet. Elle s’y était installée avant les événements de 1870. Une drôle de bonne femme habillée en vareuse comme un homme, un bonnet bleu vissé sur ses cheveux gris. Elle avait toujours la pipe à la bouche et la chique calée contre les gencives. Elle s’était réfugiée dans une grotte calcaire car l’âge venant elle avait du abandonner la pêche, une activité devenue trop dure pour elle. Elle vivait de mendicité, puis elle s’est éteinte voilà une quinzaine d’années.
D’autres Polletais évoquent aussi le temps où les gobes auraient servi de refuge aux contrebandiers qui venaient y décharger le sel et du tabac. L’histoire ajoute que pour ne pas être trou- blés dans leur trafic nocturne, ils secouaient des chaînes dont le cliquetis effrayait les passants superstitieux qui croyaient à l’apparition des Dames blanches ou des Gobelins ! On raconte aussi que ce dernier mot proviendrait de la dénomination des gobes hantées.
Les gobes ont longtemps servi d’abri aux malheureux qui étaient privés d’habitation. Grillagées pour interdire leur accès aux migrants, elles sont aujourd’hui inaccessibles.