Le blues du projectionniste
Le cinéma du village est ouvert toute l’année depuis 2012. Son projectionniste, Ludovic Cavelan, issu d’une famille où la passion du cinéma se transmet de génération en génération, constate que le métier a bien changé. Il s’interroge quant à son avenir.
Pour Ludovic Cavelan, projectionniste à Veules, le cinéma est d’abord une histoire de famille. Son grand-père s’est lancé le premier, de manière itinérante, entre Darnetal, Avremesnil et Janval. Son père ensuite devient propriétaire à Pavilly et Barentin, puis à Bolbec, d’un cinéma que gère sa mère aujourd’hui.
Il avait huit ans lors de sa première séance en tant que projectionniste. Le film projeté, il l’a oublié. Pas le savoir-faire. Monter et démonter un film, gérer des flous à l’écran, changer l’huile de la machine – « une vraie bécane » – dans une pièce bruyante…
Bobine dans le dos
Mais tout a changé. L’époque actuelle du home-cinéma et des films sur internet marginalise la fréquentation des salles obscures. Et avec le numérique, « le projectionniste, c’est un informaticien » , affirme-t-il. Son rôle ? « Faire acte de présence et passer l’aspirateur. » Toutefois, les yeux de Ludovic Cavelan brillent encore lorsque le projecteur numérique s’allume. « Sa lumière est comparable à celle émise par les anciens projecteurs » , estime-t-il. Mais le temps du 35 millimètres est bel et bien derrière lui. À l’image de la bobine de films qu’il s’est fait tatouer dans le dos…
Depuis son installation à Veules, avec 8 000 clients en moyenne dans l’année, l’activité n’est guère lucrative. Samedi 25 novembre, les cinq personnes en salle et les deux de la veille n’infirment pas la tendance. « Je n’investirai plus rien ici » , confie Ludovic, qui s’acquitte de 5 000 € annuels de frais de maintenance et rembourse toujours le crédit contracté pour s’offrir le matériel de projection, d’un montant de 150 000 €.
Bien que situé dans l’ancienne halle au blé du village, dont le bâtiment rénové a reçu les rubans du patrimoine en 2013, le cinéma ne bénéficie pas réelle- ment du tourisme. Contrairement à d’autres commerçants, Ludovic ne quadruple pas son chiffre d’affaires en saison, car l’été, la plage ensoleillée attire davantage que les salles obscures. Sa clientèle est donc surtout locale. Pour elle, le cinéma reste donc ouvert toute l’année. Le projectionniste se souvient d’une salle comble un jour de neige et regrette de voir le village éteint hors saison. « Pas de ciné-restau » , déplore-il.
Ce 25 novembre au soir, tous les restaurants sont fermés, hormis la crêperie La cressonnière. Ludovic a justement mis en place un menu restau-ciné avec cet établissement ouvert toute l’année depuis mars, mais la crêperie n’est pas au coeur du village.
Projection difficile
Si la situation devenait trop difficile, il pourrait demander une subvention à la mairie, propriétaire du cinéma, estimant que sa contribution à la vitalité du village n’est pas négligeable. En effet, de mars à novembre, les séances de chaque dernier vendredi du mois laissent la place aux conférences de l’association pour la sauvegarde du patrimoine veulais. Les premiers jeudis du mois, avec l’association Cinéobjectifs, a lieu une séancedébat art et essai. Le festival Situ projette quant à lui ses créations dans l’établissement depuis l’été 2016, tandis que le pianiste de jazz veulais Nicolas Noël y donne des concerts. La salle accueille par ailleurs des assemblées générales, comme celle des anciens sapeurs-pompiers de Seine-Maritime en octobre dernier.
Pour l’heure, Ludovic n’imagine pas changer de film. Le cinéma, il l’a dans le sang. C’est sa nature. Avec l’entreprise de transport de colis qu’il gère en parallèle, il peut s’en sortir… Ce qui n’empêche pas le projectionniste de peiner à se… projeter dans l’avenir : « Il se pourrait que Veules perde son cinéma. Quand on n’y arrive pas, on n’y arrive pas. »