Un peu de terre dans la tisane
L’histoire populaire de Dieppe recèle parfois de drôles de mystères. Parmi ceux-là, il est un ouvrage conservé au Fonds ancien et local appelé le Manuscrit du Pollet. Si son auteur est resté anonyme, il a néanmoins laissé quelques anecdotes savoureuses consacrées au Pollet et à ses habitants.
Nous sommes en 1830 et sous la plume élégante de notre chroniqueur, quelques légendes courent encore dans les rues du quartier. On raconte « à qui voudra l’entendre l’histoire du bon curé Heuzey qui était regardé comme un saint personnage, vénéré à tel point qu’après son trépas, tous les matelots attaqués de la fièvre allaient prélever un peu de terre de sa tombe pour la jeter avec des herbes dans de l’eau bouillie pour en faire une tisane à avaler plusieurs fois par jour. » L’histoire ne dit pas si la potion était amère, mais ils étaient persuadés que la fièvre ne résistait pas à ce précieux mélange auquel ils attribuaient des vertus surnaturelles.
Le curé Bruno qui succède au bon curé Heuzey a beau essayer de raisonner les Polletais, leur disant dans ses sermons qu’il appartenait à Dieu seul de faire des miracles, force est de constater que la terre de la tombe est régulièrement prélevée et versée dans la tisane des malades.
Le curé Bruno, envisage alors une décision radicale : la seule façon de mettre un terme à cette coutume est de déplacer la tombe dans un endroit peu fréquenté du cimetière. Accompagné du fossoyeur, il veut faire exhumer secrètement le cadavre de l’ecclésiastique… Mais voilà que le premier coup de pioche dans la terre rend un son « comme s’il eut déplacé une montagne d’airain ». Au second coup, une clarté jaillit du tombeau, le renverse, l’éblouit tant qu’il craint de rester aveugle. Et voilà notre fossoyeur qui, pris d’une sueur glaciale, finit par s’évanouir.
Ayant assisté à la scène, le curé se précipite au presbytère, en rapporte une fiole remplie d’une liqueur avec laquelle il se met à frotter vigoureusement les tempes du fossoyeur. Revenu à lui, ce dernier se met à sangloter et tout en le consolant, le curé lui fait promettre de garder l’épisode secret. Ce qu’il ne fit pas puisque le récit de l’aventure a longtemps circulé dans les rues du Pollet.