Les commerçants contraints de passer à la caisse
Les commerces doivent se doter de nouvelles caisses enregistreuses ultra-sécurisées. Une mesure pour lutter contre la fraude fiscale qui passe mal sur le territoire dieppois.
« Ils nous emm… ! » C’est la réaction qui revient le plus souvent lorsque les commerçants sont conviés à s’exprimer sur une nouvelle loi qui, au 1er janvier, les obligera à disposer d’une caisse enregistreuse normée NF 525 afin de satisfaire à des conditions d’inaltérabilité, de sécurisation et de conservation des données liées à la caisse.
Les éditeurs de logiciels et vendeurs de caisses enregistreuses y voient une belle opportunité et communiquent abondamment sans nécessairement préciser que l’enregistrement des opérations sur les cahiers, agendas ou perpétuels de caisse reste valable à condition de refléter parfaitement l’état des transactions réalisées (lire par ailleurs). Si des commerçants acceptent de témoigner, aucun ne nous a autorisés à publier son nom.
« On a très peu d’espèces »
À deux pas du quai Henri-IV à Dieppe, un restaurateur affirme ne pas avoir de craintes vis-àvis de cette nouvelle loi : « Je suis déjà équipé d’une caisse enregistreuse digitale et moderne, dit-il. J’ai pris contact avec mon fournisseur, je n’aurai juste qu’une mise à jour payante à faire ; elles sont récentes » . Lui affirme n’avoir rien à cacher aux services fiscaux : « L’affaire doit tourner, il y a du personnel, et la plupart des clients paient avec leurs cartes bleues ou des chèques déjeuners, nous avons très peu d’espèces » .
La patronne d’un bar-brasserie situé dans la campagne à une bonne douzaine de kilomètres de Dieppe s’énerve à la simple évocation du sujet : « Nous tra- vaillons comme des dingues pour gagner deux fois rien avec tout ce que l’État nous ponctionne déjà… Le Fisc ferait mieux d’aller chercher ceux qui vont cacher leurs sous dans les paradis fiscaux, ça lui rapporterait sûrement plus ! » . Et d’ajouter, un peu désabusée, en montrant sa caisse d’un âge bien avancé : « Je n’ai qu’une caisse à boutons et ça ne m’empêche pas d’avoir une comptabilité bien tenue. Je n’ai pas les moyens de la changer » .
Des recettes non tracées
Les commerçants les moins concernés par cette nouvelle loi sont les pharmaciens mais aussi les débitants de tabac - jeux et presse, car ils sont pour la plupart déjà dotés d’un matériel performant : « C’est un équipement de location, tout est paramétré. Ce système est très pratique pour la gestion de la caisse, explique un buraliste dieppois. En vendant du tabac, des jeux à gratter et des journaux, ça ne me vient même pas à l’esprit de frauder à la TVA, c’est quasiment impossible » .
Il y a des professionnels qui, en revanche, n’avaient pas intérêt à ce que les choses changent. Un couple de commerçants-artisans dans le secteur alimentaire au détail confesse que, chaque jour, 90 % de ses recettes en espèce ne sont pas tracées, « ça représente en moyenne 5 % de ma recette globale, ça ne va pas chercher loin non plus » , relativise l’épouse.
Si elle peut le faire, c’est aussi parce que la balance sur le comptoir n’enregistre pas les encaissements. Et d’ajouter : « Si un commerçant ne souhaite pas tout déclarer, il trouvera bien un moyen de le faire. Cela a toujours existé ! »
Amende de 7 500 € et contrôle fiscal
Et c’est bien justement pour mettre fin à cette pratique, celle de la fraude à la TVA, que Michel Sapin, l’ancien ministre des Finances publiques, a voulu cette loi sur les caisses enregistreuses. A partir du 1er janvier 2018, des agents de l’administration fiscale sont susceptibles à tout moment de la journée de venir contrôler la certification de la caisse enregistreuse.
Si cette dernière ne répond pas aux nouvelles normes, le commerçant s’expose à une amende de 7 500 €… et à un contrôle fiscal !