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Mémoires d’une ancienne prostituée dieppoise

Charline Radoux, 55 ans, a travaillé dans la dernière maison close de Dieppe, Le Cabaret. Pour la première fois, elle raconte son histoire dans un livre. Témoignage.

- Camille Larher

« Rien, je ne regrette rien ! » . Charline Radoux pourrait reprendre les fameuses paroles d’Édith Piaf dont elle est fan. « Quand je fermerai les yeux, je n’aurais pas de regret, je peux dire que j’ai vécu » , ajoute-t-elle. En lisant son ouvrage Mes Maisons closes, le lecteur est forcément touché par l’histoire de cette femme connue de tous les Dieppois. Le sourire aux lèvres, les yeux malicieux, pleine d’attention… Qui pourrait imaginer l’enfer qu’elle décrit dans son ouvrage.

L’enfance surtout, marquée par un père violent et alcoolique. Charline Radoux a vécu dans le camp de transit, sur les hauteurs de Dieppe. Aujourd’hui, il a disparu, laissant la place au centre commercial Auchan. Elle loge dans une caravane. Avec son père, sa mère, une soeur devenue bègue par peur du paternel et deux frères également marqués par la violence. « J’ai arrêté d’aller à l’école très tôt car il fallait vite travailler, raconte-t-elle. J’ai commencé à faire du porte-à-porte à l’âge de 14 ans. J’ai été courageuse, mon père ne voulait plus de moi » .

Malgré l’amour de sa mère, « la prunelle de mes yeux » , elle doit commencer à se dé- brouiller toute seule. « Je me souviens de ma première patronne, elle me logeait dans un grenier » , ajoute-t-elle. La jeune femme de l’époque trouve toujours des petits boulots, mais elle va aussi chercher la compagnie des hommes, pensant être protégée.

« Pourtant, ils ont joué avec moi. Maintes fois j’ai été battue, frappée, se souvient-elle. Je suis quelqu’un d’ouvert, de gentille, je n’ai pas peur de me confier et certains en ont profité » . Facilement manipulabl­e, elle souffre du manque d’amour de son père.

Ses frères sont devenus hai- neux, chacun avait un surnom qui démontrait tout le peu de considérat­ion dont ils faisaient l’objet. Dans son livre, Charline Radoux révèle même qu’un d’eux a dormi plusieurs fois dehors, attaché à la laisse du chien, devant partager la niche avec le canin.

Un témoignage d’un autre temps… Des événements qui datent pourtant d’une cinquantai­ne d’années, pas plus. « Aujourd’hui, la vie sur le camp a changé et heureuseme­nt, lance la Dieppoise. Toute cette violence est terminée, les habitants ont un boulot, une situation » .

La Dieppoise souhaitait avant tout se poser « mais je n’y arrivais pas à cause de toutes ces années de violence » . Un soir, alors qu’elle n’avait que 14 ans, elle est kidnappée par trois jeunes hommes du camp qui la violent sur un chemin de terre amenant au coeur d’une forêt, bordant un petit village. « Je me suis dit, ferme ta gueule, sinon ils vont te tuer » , écritelle dans l’ouvrage. Que pouvaitell­e faire…

Suite au viol, elle passera 48 heures à l’hôpital, à vomir : « Ces fumiers m’avaient déchiré le corps ! » . S’ensuivent des cauchemars et des crises d’angoisse qui ne la quitteront pas.

« La suie » comme l’appelle son père, doit travailler pour nourrir son fils. C’est une amie qui lui parle du Cabaret, rue Notre-Dame, à Dieppe. « J’aimais bien servir et puis à l’époque, je fréquentai­s beaucoup les bars. Je voulais faire des connaissan­ces, ne pas rester seule » , précise-t-elle.

La patronne, Monique, lui explique le fonctionne­ment de la maison close, la dernière de la cité aux quatre ports. « J’ai vu les banquettes, les filles en minijupes avec des talons, je les ai trouvées belles ! » , reprend Charline Radoux.

Le principe est simple : les filles peuvent monter avec les clients si ce dernier commande du champagne. En somme, il fallait faire consommer le bonhomme. « Et le reste était pour nous » , continue-t-elle. Elle explique qu’elle s’arrangeait avec les filles pour fixer les tarifs : « Nous devions nous faire respecter, c’était notre corps. »

Le Cabaret disposait d’une sortie un peu plus discrète pour les hommes qui ne voulaient pas être vus. « La plupart avaient entre 50 et 60 ans et étaient mariés » , précise Charline Ra- doux.

Elle garde un bon souvenir de cette époque. « Les hommes étaient gentils, ils ne pensaient pas qu’au sexe, racontet-elle. Ils venaient davantage pour se détendre, nous offraient des fleurs » . La Cabaret ouvrait à partir de 14 h pour fermer vers 2 h du matin.

La patronne était à cheval sur l’hygiène, comme Charline Radoux qui se dit même « maniaque » . Les clients devaient faire leur toilette avant de monter, se protéger avant tout acte sexuel. « C’était comme ça, il y avait des règles ! » lance-t-elle. La Dieppoise y est restée six ans avant que la structure ne ferme en 1994.

À Dieppe, tout le monde connaît Charline Radoux. Reste son fils, qu’elle ne voit plus. « J’aimerais qu’il lise le livre, qu’il comprenne… » confie-telle. Elle a vidé son sac comme elle dit ! Comme une sorte de thérapie : « La souffrance est sortie. »

PRATIQUE

« Les filles étaient belles » « Nous devions nous faire respecter »

Séance de dédicaces samedi 27 janvier, à la Maison de la presse, à Dieppe, à partir de 10 h toute la journée. Contactez au 02 35 84 33 93 la librairie pour commander dès maintenant un exemplaire de Mes Maisons closes.

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Comme Édith Piaf, Charline âgée de 55 ans ne regrette rien à la vie qu’elle a mené au Cabaret.

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