Dieppe est en deuil
La mer est déchaînée et le vent gifle le navire de rafales de pluie. Nous sommes le vendredi 2 novembre 1962. Le Jeanne Gougy, un chalutier dieppois vient de quitter la zone de pêche au large de l’Irlande pour rentrer à Dieppe. La visibilité est réduite et le passage au large de Land’s End à l’ouest de la Cornouaille déjà délicat par temps calme s’avère redoutable.
Malgré l’expérience de l’équipage on n’a pas pu éviter les brisants et le matin du samedi 3 novembre à 5h15, le navire s’écrase sur Armoured Knight rock au pied des falaises de Lands’End. Pendant une heure le chalutier qui se trouve sur la roche, tire des fusées de détresse.
Les signaux sont immédiatement vus par les garde-côtes et un canot de sauvetage de l’un des ports voisins se tient prêt. La vigilance est extrême mais l’état de la mer ne lui permet pas de s’approcher suffisamment. Le patron du navire, le chef mécanicien et le radio sont arrachés du pont peu de temps après que le chalutier ne talonne. Ils disparaissent.
Brusquement, à 6 h 15 le bateau est frappé par une énorme vague qui le lance sur le côté et le brise en trois parties. La triste nouvelle se répand dans les environs et quelques riverains bravent la tempête pour se rendre sur la roche, près de la zone du drame. À midi, une femme debout sur la falaise parmi le groupe d’habitants signale avoir vu la main d’un homme s’agiter depuis un hublot.
L’hélicoptère de la RoyalAir-Force venu de la station de Chivenor tourne et s’approche. Il réussit enfin à recueillir un marin épuisé, puis il repart audessus de l’épave à la recherche d’autres survivants. Il trouve un homme très affaibli dans le passage entre la passerelle et l’intérieur du chalutier. Sur un équipage de 18 hommes, six survivront.
À Dieppe quelques jours plus tôt, le Jeanne Gougy quittait le bassin des chalutiers pour passer les jetées. Nous étions fin octobre et c’était juste une marée de plus pour un équipage chevronné. Des mains qui s’agitent et les derniers baisers lancés vers le bateau… On se reverra bientôt. Puis, la nouvelle du drame qui sidère la ville entière, les images de l’épave ballottée qui fait la une du journal télévisé de l’unique chaîne de télé. Dieppe est en deuil.