« Nous avons rarement eu droit à un travail si détaillé »
Samedi 10 février, l’architecte du patrimoine Maxime Faure donnait une conférence afin d’exposer son diagnostic de l’état des églises Saint-Jacques et Saint-Rémy en mairie de Dieppe. Une présentation saluée par un public venu en nombre.
Saint-Rémy. « Faire à l’économie, ça se paie ! » Estimant que l’église Saint-Rémy est « au bord de l’effondrement depuis 70 ans » , l’architecte du patrimoine Maxime Faure a révélé, lors de sa présentation publique du 10 février, que l’état de l’édifice était dû à une série de déconvenues mal compensées par « des bricolages réalisés à la hâte » . Et ce depuis plusieurs siècles.
La construction de l’édifice démarre en 1522, grâce aux fonds de l’armateur Thomas Bouchard, échevin de la ville et trésorier de la paroisse. Ironie du sort, Maxime Faure explique que la fille de ce dernier devient calviniste, jusqu’à compter « parmi les fers de lance du protestantisme » … Elle « s’échine alors à faire détruire des éléments construits par son père » . Ainsi, exit le jubé – a priori semblable à celui de l’église d’Arques-la-Bataille – et plusieurs éléments de décor.
Plus grave, à peine 15 ans après l’achèvement de sa construction, l’église de style Re- naissance se trouve en première ligne lors des bombardements anglo- néerlandais de 1694. Alors que Dieppe est presque entièrement rasée, le bâtiment tient debout mais la majorité de ses charpentes part en fumée. Une reconstruction lente démarre, avec des moyens réduits. À la pierre de Caen, matériau de base de l’église Saint-Rémy, on privilégie désormais les briques de vase, moins solides, faites à partir des matières draguées dans le port.
« Catastrophique »
Fin 18e et courant 19e siècle, l’architecte Barthélémy effectue les travaux de finition de la façade et restaure les voûtes en y coulant du plâtre : un procédé économique… qui montre très vite ses limites. Les charpentes bricolées – certaines poutres sont trop courtes, d’autres ont tendance à écarter les murs – et les chéneaux obstrués par la végétation et les fientes provoquent de nombreuses infiltrations d’eau… que le plâtre supporte très mal. Déjà grandement fragilisées, les voûtes s’effondrent ainsi de nouveau lors des bombardements de la Seconde Guerre mondiale.
Pour parachever l’ensemble, les fondations de la bâtisse ont été fragilisées par différents travaux (décaissement, passage de canalisations), les bâches de protection posées sur certains meubles ou tableaux ont favorisé le développement de moisissures et certains superbes vitraux ont été restaurés de manière grossière et irréversible…
Dans ce contexte, Maxime Faure n’hésite pas à parler d’état « catastrophique » . Après des travaux d’urgence dans les années 90, ceux de ces derniers mois ont notamment porté sur la réfection des contreforts et des chéneaux. « L’atmosphère est déjà beaucoup moins humide dans l’église » , assure l’architecte. Première bonne nouvelle : cela signifie que, même si l’édifice a « les pieds dans l’eau » , peu de remontées capillaires sont à déplorer.
Retour de la toiture en pavillons
Ne disposant pas de réel état de référence pour étayer la restauration, le cabinet Lympia, où travaille le conférencier du jour, a dû réaliser des choix. Se basant sur une gravure réalisée peu après le bombardement de 1694, il a décidé de rétablir la toiture en pavillons côté choeur*. « Cela résoudra une bonne partie des problèmes d’étanchéité, indique l’architecte. En plus, ce sera beaucoup plus beau et facile d’entretien ! » Les voûtes seront par ailleurs refaites, en brique plutôt qu’en plâtre, et les vitraux vont être restaurés*. Saint-Jacques. « Malgré une architecture faisant preuve d’une audace exceptionnelle, l’église SaintJacques ne dispose pas de problèmes de structure » , juge Maxime Faure. Si les charpentes sont globalement en bon état, un problème de solidité subsiste tout de même au niveau du dôme. Une structure métallique va être installée afin de le renforcer, avant de pouvoir reposer le lanternon, retiré pour des raisons de sécurité en janvier 2015*.
Les arcs-boutants, fragilisés, restent par ailleurs étayés. Quant aux différentes sculptures, « il sera extrêmement difficile de les restaurer tant elles ont fondu » . Des questions se posent également quant à la restitution d’éléments disparus, comme les pinacles du clocher ou les balustrades. Ces dernières, restaurées en 1870 selon une inspiration gothique après avoir existé durant quatre siècles dans un stye Renaissance, devraient – sauf avis contraire de la Direction régionale des affaires culturelles – être refaites comme à l’origine au cours d’un programme de travaux ultérieur.
Souscription et appel à Stéphane Bern
« Nous avons rarement eu droit à un travail si détaillé sur nos églises » , se satisfait Christiane Le Her, présidente du comité de sauvegarde des églises de Dieppe. Son association a depuis quelque temps lancé une souscription auprès de la Fondation du patrimoine afin de participer au financement des travaux. Pour l’heure, 19 000 € ont été récoltés pour Saint-Jacques et 3 000 € pour Saint-Rémy. Un montant bien mince rapporté à l’enveloppe de plusieurs dizaines de millions d’euros nécessaire pour procéder à la réfection totale des lieux. « Nous allons commencer une campagne de mécénat auprès des entreprises, poursuit Christiane Le Her. Un timbre va par ailleurs être édité en mai, et nous avons lancé un appel à l’aide à Stéphane Bern, mandaté par le gouvernement pour sauver quelques édifices en péril. »
L’association, qui compte aujourd’hui 380 adhérents, espère en compter 500 d’ici la fin d’année. Un objectif qui semble tenable à la vue de l’intérêt suscité par la conférence du jour.
*Ces réalisations seront effectuées d’ici 2020, pour un total de 2 millions (hors taxes) à SaintRémy et 590 000 € (hors taxes) à Saint-Jacques.