Les Inrockuptibles

Cher Michel Drucker

Par Christophe Conte

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Au moment où j’écris ces lignes, Dieu soit loué (soudoyé, même), Michel Delpech n’est toujours pas mort. Je m’en félicite autant que toi, tant il ne me tarde en rien que l’interprète de Quand j’étais chanteur se conjugue définitive­ment au passé. Delpech, cet artisan modeste de la variété française, ce mélodiste subtil, ce crooner pop à voix peau de pêche, manquera le jour venu dans ce paysage trusté par tant d’autres de tes “amis” en pleine santé, que l’on expédierai­t bien à trépas casser les oreilles des anges. Il y a quinze jours, pourtant, du haut de ton autorité de croquemort officiel des vedettes, tu n’auras pas résisté, par médias interposés, à jeter une première pelletée de terre sur la mémoire de cet “ami” agonisant, annonçant “Michel Delpech s’éteint doucement” dans une vidéo pour le site du Parisien.

Pour un scoop, Michel, tu ferais n’importe quoi, on dirait. Aussitôt après, pour te prémunir contre toute accusation d’indécence, quand les limites en étaient pourtant largement franchies, tu précisas que c’est le mourant lui-même qui avait imploré ta grâce funèbre pour que tu ailles prestement l’enterrer vivant dans les lucarnes. Il t’aurait dit “Parle de moi, parle de moi sur scène, parle de moi dans tes livres, dis que j’ai été courageux.” Ce qui, excuse-moi, fait une petite différence avec “Dis-leur que je vais crever et commence à préparer les mouchoirs à crocodiles, à faire chauffer les archives et ton calepin pour une soirée hommage”, laquelle est sans doute déjà dans la boîte, contrairem­ent à son sujet.

Si tu tiens tant que ça à annoncer en avance la mort des gens célèbres, Michou, pousse carrément le concept jusqu’à en faire une émission ! Un genre de ChampsElys­ées délocalisé au Père Lachaise, où tous les invités auraient un pied dans la tombe. Jean-Pierre Coffe pourrait leur donner l’extrême onction, Laurent Gerra les derniers sacrements et Anne Roumanoff les achever avec des vannes dont il est préférable de mourir que de les entendre. Ça ne changerait pas beaucoup de Vivement dimanche, remarque bien !

Tu pourrais même appeler la chose Vivement qu’on le débranche

et inviter Vincent Lambert pour la première. Tu troquerais le canapé rouge contre un lit d’hosto, voire carrément contre un cercueil, je te suggère même d’embaucher un groupe et de les baptiser Les Forces De L’Esprit. La pudeur, la retenue, la sobriété, c’est de moins en moins ton truc avec l’âge, pas vrai Michalon ? Une dernière vie comme vautour du tout showbiz, confesseur pré-Alzheimer, videur de bassin d’urines célèbres, premier asticot sur la viande, je suis certain que ça ne te déplairait pas. Ton auditoire naturel, celui qui te suit depuis tes débuts, au temps des Mérovingie­ns, ne serait pas dépaysé. Je suis sûr qu’il appréciera­it cette télé miroir, cette télé mouroir, animée par celui qui nous enterrera tous. Et parfois même avant l’heure.

Je t’embrasse pas, mais embrasse l’autre Michel pour moi.

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