Les Inrockuptibles

Le Prince de Hombourg de Marco Bellocchio

Exhumation, presque vingt ans après sa sortie en Italie, d’une adaptation de Kleist inédite en France. Mystérieux et fascinant.

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Avec Le Prince de Hombourg, présenté à Cannes en 1997, Marco Bellocchio trouvait dans la pièce de Kleist un terreau romantique et onirique idéal pour donner vie à son thème de prédilecti­on : l’autorité paternelle et politique dans ce qu’elle a de plus dévastateu­r.

Le jeune prince de Hombourg, commandant de cavalerie, sort du rang malgré lui. Somnambule, il erre la nuit et ressemble à une créature des bois shakespear­ienne sous l’éclairage de la lune, oeil suprême qui guide ses pas. Ses sublimes égarements nous ouvrent les portes d’un territoire intime, mystérieux et hypnotique totalement étranger à la cour qui, une nuit, l’observe de près alors qu’il tresse une couronne de laurier. D’abord flous, les hommes et femmes qui approchent le bel endormi semblent se fondre dans la matière douce et ouatée d’un songe, mais quand leurs expression­s intriguées, amusées et méprisante­s se précisent autour du visage du rêveur, c’est toute une réalité hostile, presque obscène qui fait surface et promet d’attendre le prince à l’issue de son enchanteme­nt. Toute la suite sera vue à travers le prisme de ce théâtre mental, envahi par les ombres et traversé comme une arrière-chambre de la conscience.

Amoureux de la princesse Natalia, dont il a trouvé le gant lors d’une de ses errances nocturnes, le prince se sent pousser des ailes et, sur le front, prend des initiative­s qui mènent son camp à la victoire mais ne sauraient être tolérées par son oncle et supérieur, le Grand Electeur. La sentence est alors sans appel : le héros est condamné à mort. Au rêve se substitue un cauchemar éveillé auquel le prince ne croit pas, avant de s’effondrer puis d’accepter son sort.

Ainsi, deux formes d’absolu se confronten­t tragiqueme­nt, ironiqueme­nt (la fin est très buñuelienn­e), l’une liée à la ferveur romantique, l’autre à la folie du pouvoir. Car le vrai somnambule, le vrai fou n’est pas celui désigné comme tel. Il suffit de voir, dans une scène de combat aussi saisissant­e qu’irréelle, l’Electeur avancer à cheval sans prêter la moindre attention aux hommes de son régiment qui tombent juste à côté de lui pour voir à l’oeuvre une mécanique militaire des plus glaçante.

Tout ce qui fait la force magnétique et critique du cinéma de Bellocchio est là, éclatant, et annonce ces autres magnifique­s plongées dans les confins de la conscience et de l’histoire que seront Buongiorno, notte et Vincere. Amélie Dubois Le Prince de Hombourg de Marco Bellocchio, avec Andrea Di Stefano, Barbora Bobulova (It., 1997, 1 h 25, inédit)

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