15 ans, toujours vierges

En 2000, le Virgin Suicides de Sofia Coppola apparaissait comme un miracle de romantisme noir. Le duo Air, après le carton de son premier album, enchaînait sur une BO qui n’en était pas une, avec entre autres le sublime Playground Love. Souvenirs et réédi

Plus culte qu’un cargo gainsbourien, le film Virgin Suicides a 15 ans. A peu près l’âge des soeurs Lisbon au moment de leurs suicides programmés. Que reste-t-il de ce premier film de Sofia Coppola, ce chef-d’oeuvre ? Tout. L’envoûtement, l’amour, la découverte des liens troubles et intimes entre ados, eros et thanatos, l’éclosion et l’anéantissement simultanés, cette façon unique de filmer l’horreur comme un printemps romantique. Et déjà, avant même de penser au film, les poils des bras qui se hérissent aux premières secondes envapées de Playground Love, le thème principal de la BO, composé par Air. “I’m a high school lover”, chante lentement Thomas Mars, mais c’est Trip Fontaine qu’on entend…

Virgin Suicides est commémoré par la réédition de l’album de Air qui, dans sa version luxueuse, prend la forme d’un voluptueux coffret, avec des vinyles, des posters, le DVD du film et quelques autres mignardises. A l’époque, Air avait choisi de ne pas faire d’interviews autour de ce disque, et seulement deux concerts aux Etats-Unis (dont un, à Los Angeles, se trouve dans la réédition).

C’est seulement aujourd’hui que Nicolas Godin et Jean-Benoît Dunckel en parlent. A l’époque, le duo avait très mal vécu le succès de son premier album, Moon Safari. Nicolas : “On subissait le retour de bâton, les gens en avaient marre de Moon Safari qui était devenu énorme, on passait pour un phénomène marketing, et ça nous vexait. Ce projet Virgin Suicides, plus sombre, c’était l’occasion de montrer qu’on était de bons compositeurs, de bons musiciens, de bons producteurs. Et ça nous permettait d’éviter l’écueil du deuxième album, tout en en faisant un. Le deal de départ avec Sofia Coppola, c’était qu’on faisait un album Virgin Suicides, et qu’elle se servait dedans pour le film. Ce n’est pas une BO traditionnelle.”

Ils composent l’album en quinze jours d’hiver, en visionnant sur cassettes VHS des rushes beaucoup plus sombres et trash que le film terminé. Au montage, cette musique vraiment blonde mais avec des racines noires est assez peu présente dans le film, mais elle est essentielle. Et le disque de Air va vivre sa propre légende. Nicolas : “On ne le savait pas en le faisant, mais c’est un album important, qui nous a influencés pour la suite, et qui est devenu culte. On s’en est vraiment rendu compte récemment, il y a un ou deux ans. Si je croise quelqu’un et qu’on parle de Air, au bout de trente secondes on me parle de Virgin Suicides, c’est dingue et c’est génial.”

Le dernier projet recensé de Air est la BO de Pioneer, un thriller norvégien sur la plongée sous-marine et l’extraction pétrolière dans les abysses (sorti en début d’année). De Moon Safari à Pioneer, en passant par l’au-delà des soeurs Lisbon, on pourrait réécrire l’histoire de Air comme une exploration des confins, des mondes secrets. Et, contrairement à ce qu’on pouvait croire, ils ne se sont pas perdus en route.

Nicolas Godin et Jean-Benoît Dunckel sortent chacun de la musique cette année, tout en préparant le futur à deux. Nicolas : “En ce moment, on réfléchit à ce qu’on veut faire, et comment, pour l’année 2016.” Jean-Benoît : “C’est délicat, on entre dans une deuxième phase de la vie de Air, qui doit s’adapter aux changements de supports pour la musique, à l’importance du live. Faire un album pour faire un album, ça ne nous intéresse plus.” Nicolas : “J’écoute plein de musique mais je n’achète plus de disques, ça a cassé quelque chose en moi, y compris ma relation à mes propres disques. Faire un album de Air, ça ne nous excite pas, on cherche un nouveau sommet à gravir.” Stéphane Deschamps album The Virgin Suicides (Warner) lire l’intégralité de l’entretien avec Air sur

“si je croise quelqu’un et qu’on parle de Air, au bout de trente secondes on me parle de Virgin Suicides, c’est dingue et c’est génial”