Carton plein
Ça ne pouvait pas être pire. Cette fois, les instituts de sondage ne se sont pas trompés et c’est bien dans six régions sur treize, la fourchette la plus haute, que le FN se retrouve en tête au soir du premier tour des régionales. Dans trois d’entre elles, il est en mesure de l’emporter, avec des scores de premier tour proprement faramineux. C’est une lame de fond qui nous laisse hébétés, incrédules, et force est de constater que le sursaut espéré, après une année de sang et de terreur, ne s’est pas produit.
Déjà dans tous les esprits, désormais bien calé au centre de la vie politique française, puisque tous les autres paraissent se déterminer par rapport à lui et à ses propositions, le Front national poursuit son irrésistible ascension électorale, malgré ses querelles d’héritage et les trop tardifs efforts de son propre fondateur pour désactiver sa créature, depuis longtemps hors de son contrôle. On pourrait se consoler en se disant que dimanche soir, le plus amer devait être encore Jean-Marie Le Pen, que nous avons tant aimé détester et qui se retrouve aujourd’hui sur le bas-côté, seul et trahi, hideux vieillard dépossédé de son parti de soudards et jusqu’à son propre nom, perdu dans les malices de l’histoire et les métamorphoses du fascisme, souvent étonnantes, toujours redoutables.
Il fallait voir avec quelle délectation sa fille Marine et sa petite-fille Marion n’avaient que les mots “République” et “républicains” à la bouche, en ce dimanche soir de triomphe, alors que dans leur famille de riches aventuriers d’extrême droite, où les filles se forment chez les soeurs les plus traditionalistes et à Assas, la République ne saurait être que “la gueuse”, selon l’expression haineuse popularisée par l’Action française. Mais il est si doux de se repaître du lexique et des valeurs de l’ennemi quand celui-ci, défait et hagard, ne peut que contempler votre triomphe. Avant elles, Sarkozy n’a-t-il pas terrassé la gauche, en 2007, en braconnant sur ses terres historiques et culturelles, dans une geste d’inspiration vaguement gramscienne qui fit la gloire et la réputation d’un Henri Guaino ? Le plus glaçant reste la facilité confondante avec laquelle le FN pratique ce type de hold-up idéologique, sûr de sa force d’attraction et certain que plus personne ne viendra contredire son délire démagogique anti-élites et antisystème, faute de combattants en ordre de bataille, décidés à mener la reconquête sociale et territoriale, maintenant que nous sommes sûrs que les pétitions morales ne servent décidément à rien.
Tout à leur obsession présidentielle et à leurs arrière-pensées électoralistes, le très gros perdant Sarkozy (résultats désastreux) et le gros perdant Cambadélis (dégâts importants mais limités, merci l’Ile-de-France !) ne pensent finalement qu’au coup d’après et ne songent pas à se hasarder sur le terrain idéologique, prêtant ainsi complaisamment le flanc aux pires caricatures d’UMPS colportées par le Front national. L’un surjoue la rhétorique du “ni-ni”, alors que personne n’espère rien de lui, et l’autre celle du “Front républicain”, qui risque de rester théorique tant les très malheureux électeurs de gauche du Nord et du Sud vont avoir du mal à se mobiliser pour Xavier Bertrand ou Christian Estrosi, tous deux empêtrés dans leurs outrances langagières et leurs fâcheux antécédents. Là comme en d’autres domaines – les chiffres records du chômage, par exemple –, il n’est pas sûr que la posture suffise.