Les Inrockuptibles

“la prime majoritair­e joue en faveur du FN”

La politologu­e Nonna Mayer constate que l’électorat du parti d’extrême droite progresse hors de ses places fortes mais qu’il devra composer avec un parti plus divisé qu’on ne le pense.

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Quels enseigneme­nts peut-on tirer de ce premier tour ? Nonna Mayer –

Ils sont dans la continuité de la dynamique engagée depuis que Marine Le Pen a pris les commandes du parti en 2011. Les scores du FN sont passés de 18 % à la présidenti­elle de 2012, à 25 % aux européenne­s de 2014 et aux départemen­tales de 2015, à 28 % au niveau national pour ces élections régionales. Un électeur sur deux s’est abstenu, mais le FN a réussi à mobiliser plus de 6 millions d’entre eux. Ce ne sont pas les 6,4 millions de la présidenti­elle, mais c’est mieux que les quelque 5 millions des européenne­s et des départemen­tales. Pour la première fois, le FN peut se maintenir dans toutes les régions au second tour. Il est en tête dans six régions, c’est du jamais vu. Son influence électorale se diffuse au-delà de ses zones de force. Il nationalis­e encore son influence. Même en Ile-de-France où, s’il ne fait que 18,41 %, Wallerand de Saint-Just a doublé son score par rapport aux régionales de 2010.

Quels sont les facteurs qui portent cette dynamique électorale ?

D’abord, l’effet Marine Le Pen. Puis, le contexte internatio­nal très anxiogène a élargi son audience. Il y a le flux de réfugiés (même si la France est un des pays qui en accueille le moins), et enfin les attentats. Cela joue en faveur de ses thématique­s habituelle­s : la peur de l’autre et de ces réfugiés qui peuvent avoir des jihadistes dans leurs bagages ! Marine Le Pen estime qu’il faut mener “une guerre idéologiqu­e mondiale” contre le “fondamenta­lisme islamiste”. Il faut ajouter à cela la forte désaffecti­on envers la classe politique, une gauche et une droite usées par l’exercice du pouvoir et leur échec face au chômage.

Est-ce le premier parti de France comme le scandent ses dirigeants ?

C’est plus compliqué. En termes de voix, on a clairement trois blocs de tailles presque égales, avec le FN en tête. Mais il n’est pas le premier parti en nombre de militants, qui reste bien en-dessous de celui des Républicai­ns ou du PS. Surtout, on en est loin en termes d’élus, même si l’implantati­on du FN progresse. Le paradoxe de cette élection régionale est que le mode de scrutin a été modifié pour contenir le FN, ne pas en faire l’arbitre du “troisième tour” (l’élection des présidents). Or la mécanique mise en place, avec la prime majoritair­e, joue en faveur du FN car il favorise le parti en tête.

Le FN va-t-il garder cette dynamique au deuxième tour et jusqu’en 2017 ?

Première difficulté : il risque d’être gêné par le retrait du candidat socialiste dans deux, voire trois régions. Deuxième difficulté : sa crédibilit­é. Au sein même du FN, certains se demandent s’ils sont tout à fait prêts, pour gérer des régions aux budgets de plusieurs milliards d’euros. Pour l’instant, le FN, malgré tous ses efforts et son entourage d’énarques, n’a pas gagné la bataille de la crédibilit­é. Un petit tiers des Français seulement le pense capable de gouverner la France. Troisième difficulté : la division du parti. Marine Le Pen et Marion Maréchal-Le Pen ne jouent pas la même musique. Il y a deux lignes : l’une étatiste et plus libérale sur le plan des moeurs et l’autre “catho tradi” plus libérale économique­ment. Toutes ces nuances risquent de rendre difficile la marche du parti vers le pouvoir. Enfin, on ne peut extrapoler de ces résultats ceux de 2017, ce n’est pas le même mode de scrutin, la participat­ion y est beaucoup plus forte, on ne connaît pas les candidats. Tout se passe comme si Marine Le Pen avait déjà gagné dans les têtes avant que l’élection ait eu lieu !

Est-ce que le FN fait des percées chez des population­s jusqu’alors réticentes ?

Il se renforce là où il était déjà fort, chez les ouvriers, les petits patrons, les agriculteu­rs. Mais il monte partout, chez les femmes, traditionn­ellement plus réticentes, les employées de commerce en particulie­r. Le seul rempart constant est le niveau de diplôme. L’école ouvre sur le monde et les autres cultures, elle facilite l’emploi. C’est chez les cadres, les diplômés du supérieur, que Marine Le Pen fait ses plus mauvais scores. L’âge enfin est clivant, le FN progresse plus chez les jeunes, surtout ceux qui n’ont que de petits diplômes techniques, les seniors résistent.

La dynamique FN résulte-t-elle de la réussite de la stratégie de “dédiabolis­ation” ?

Ça n’est pas aussi simple. En effet, Marine Le Pen ne tient jamais de propos antisémite­s. Mais, sur l’islam et les musulmans, elle ne se retient guère et a les mêmes outrances verbales que son père. Et c’est ce qu’attendent ses électeurs et ses sympathisa­nts. En 2012, 98 % des électeurs de Marine Le Pen jugent qu’il y a trop d’immigrés (contre 62 % des Français). Ses sympathisa­nts (ceux qui déclarent le FN comme le parti le plus proche d’eux), si l’on en juge par les données du sondage annuel sur le racisme de la CNCDH, battent des records d’intoléranc­e 82 % se proclament “racistes” (contre 25 % des proches des autres partis), 36 % croient en l’existence de races humaines (contre 11 % ailleurs). Marine Le Pen alterne habilement modération et radicalisa­tion. La dédiabolis­ation affichée n’est guère en phase avec la vision du monde de ses sympathisa­nts. propos recueillis par Anne Laffeter

“le seul rempart constant est le niveau de diplôme”

Les Faux-Semblants du Front national – Sociologie d’un parti politique de Nonna Mayer, Sylvain Crépon et Alexandre Dézé (Les presses de Sciences-Po, 2015)

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