Les Inrockuptibles

Bombarder la Syrie ?

Les forces occidental­es sont tombées d’accord : il faut désormais livrer une guerre totale au terrorisme, tout en épargnant le régime de Bachar al-Assad. Une stratégie perdante.

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Tout va trop vite. En quelques semaines, on est passé d’un monde où les Etats-Unis et la France s’opposaient à la Russie, l’Iran et le régime de Bachar al-Assad sur les objectifs à atteindre dans ce qui est une guerre civile en Syrie. Nous soutenions qu’il fallait affaiblir l’Etat islamique et le boucher de Damas quand l’autre “coalition” n’avait que lui pour allié.

Aujourd’hui, les Russes se coordonnen­t avec les Français, et donc les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l’Iran, pour frapper l’EI et ménager Bachar. Un ennemi, l’islam radical, et une réalité, les seules troupes au sol capables de renverser la situation sont celles de l’armée régulière du régime. Le Premier ministre de Grande-Bretagne a beau assurer devant son Parlement que les alliés sur le terrain des Britanniqu­es et des Occidentau­x sont “70 000 hommes” de l’Armée syrienne libre, personne ne le prend au sérieux.

Un seul argument l’a emporté : bombarder la Syrie. Peu importe les contradict­ions.

Comme la réponse au 11-Septembre tenait en un slogan, “la guerre au terrorisme”. Difficile, voire impossible, de faire entendre une autre voix. Jeremy Corbyn a essayé en GrandeBret­agne. Il a récolté une révolte de ses députés et l’accusation d’être un “sympathisa­nt des terroriste­s”. Manifestat­ion

contre l’interventi­on en Syrie à Londres,

le 2 décembre

Pourtant, il est possible de penser que s’allier à la Russie pour bombarder l’EI mais surtout la Syrie est une erreur stratégiqu­e. On peut même avancer qu’il s’agit d’un piège grossier. Nicolas Hénin, journalist­e et ancien prisonnier de l’EI, l’a expliqué simplement dans une vidéo diffusée par le Guardian. Pour lui, bombarder la Syrie n’est pas la solution. Il ajoute que le camp qui remportera cette guerre civile qui dure déjà depuis quatre ans n’est pas celui qui dispose des armes les plus sophistiqu­ées mais celui qui gagnera à sa cause le peuple syrien. Sa solution pour que l’EI s’effondre ? Une zone d’exclusion aérienne totale et garantie : plus un seul bombardeme­nt ni occidental, ni de Bachar, ni des Russes.

Finis les bidons bourrés d’explosifs de Bachar, les frappes indiscrimi­nées des Russes et les nôtres. J’ajouterais un peu de générosité de notre part : on ne peut pas à la fois bombarder la Syrie et refuser d’accueillir les victimes de ces bombardeme­nts, les réfugiés de guerre syriens. Ces deux conditions seulement permettron­t de dégonfler rapidement l’islamisme radical de l’EI ou du Front Al-Nosra. Il y a quelques semaines, j’écrivais que, poussé dans ses derniers retranchem­ents, le peuple syrien préférera toujours l’islamisme radical, mais sunnite, au régime de Bachar. On m’a reproché cette phrase. Pourtant, on y est. En s’alliant avec les Russes, la France a rendu sa stratégie illisible pour les civils syriens écrasés sous les bombes internatio­nales. On risque en plus de faire des combattant­s islamistes des martyrs. Le piège se referme et pour plusieurs années. Anthony Bellanger

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