“il faut produire jusqu’à quatre sujets par jour. Cela ne laisse pas trop de temps à la réflexion”
Un journaliste
Et l’omniprésence des équipes sur le terrain “pousse les responsables politiques à se déplacer dès qu’il se passe un événement.” Parallèlement, le plateau TV se transforme en table ouverte – ce dont profitent surtout les lieutenants et les jeunes pousses des partis. “Les chaînes d’info ont ouvert des espaces médiatiques pour des politiques pas assez connus pour faire le JT de 20 heures, analyse la communicante. Emergent alors ceux qui apportent quelque chose de différent, avec le risque d’une radicalisation des positions.” Comme par exemple Geoffroy Didier et Guillaume Peltier, les tenants de la droite forte… Pour Hubert Huertas, il s’agit de “se donner en spectacle quotidiennement. Cette stratégie porte un nom : le storytelling.”
Depuis deux ans, BFMTV est régulièrement accusée de favoriser le Front national et le hashtag #BFN a fleuri sur les réseaux sociaux. Le 19 mars 2014, en pleine campagne pour les municipales, le CSA rappelle la chaîne à l’ordre pour une surreprésentation du parti de Marine Le Pen qui, entre le 10 février et le 14 mars, s’est vu accorder plus de 43 % du temps de parole politique. La direction s’en défend, expliquant que cela est lié au traitement des problèmes de candidatures au FN. La dernière semaine avant le scrutin, elle compense tout de même et fait retomber le temps de parole à moins de 10,5 %. “Cette accusation est parfaitement injuste, le temps de parole est très surveillé. Nous ne favorisons et ne faisons la guerre à personne”, réplique un journaliste. Avec le succès, la chaîne a progressivement attiré les ténors. Le 29 janvier 2012, BFMTV et I-Télé ont été conviées aux côtés de TF1 et France 2 à interviewer le président de la République Nicolas Sarkozy. Devenu chef de l’Etat, François Hollande s’est invité à la matinale de Jean-Jacques Bourdin le jour de ses deux années d’accession au pouvoir.
Une vraie reconnaissance pour une chaîne qui en a longtemps manqué
car souvent jugée bricolée au départ et parfois sulfureuse aujourd’hui. “BFMTV a recruté beaucoup de jeunes journalistes sortant de l’école, témoigne l’une d’entre eux. On nous conseillait d’y aller car on pouvait toucher à tout.” Comme il l’avait fait pour la radio RMC cinq ans plus tôt, Alain Weill a constitué une équipe de débutants ambitieux, avec quelques briscards ayant une revanche à prendre, comme Olivier Mazerolle et Ruth Elkrief. “Dans ce type de média pas encore installé, les équipes sont en mode conquête”, explique un ancien cadre de la rédaction.
Si quelques présentateurs vedettes créés par BFMTV ont été débauchés – Julian Bugier, Thomas Sotto, François Lenglet… –, le recrutement de signatures reste difficile. La chaîne souffre d’une image populaire et parfois populiste. Jean-Jacques Bourdin, star de RMC dont l’interview matinale est diffusée en simultané sur l’antenne TV, incarne cette aura négative. “Plusieurs personnes dans la rédaction ont été dérangées à différentes reprises par ses sorties, pas toujours heureuses. Son interview de Roland Dumas le 16 février dernier a suscité quelques discussions entre nous.” L’animateur vedette avait demandé à l’ancien ministre de Mitterrand si Manuel Valls était “sous influence juive”. Une question qui vaudra une mise en demeure aux deux médias phare de NextRadioTV. “BFMTV souffre de l’image de la radio, généralise un ancien membre de la rédaction. En 2010, une grande partie du service Sports a préféré partir plutôt que de passer dans le giron de RMC Sports.”
Les perspectives de la chaîne pourraient cependant s’obscurcir, à en croire ses dirigeants, inquiets d’une arrivée éventuelle de LCI et d’une France Info TV, qui frappent à la porte du marché des chaînes gratuites. “Sur deux chaînes d’info gratuites, seule BFMTV gagne de l’argent, explique Alain Weill. Avec quatre, toutes en perdront”, estime le pdg, qui menace de supprimer cent des quatre cents emplois actuels, en cas de feu vert donné aux postulants. Et voit derrière la manoeuvre “une volonté politique de renforcer les groupes TF1 et France Télévisions, qui captent déjà 75 % de l’audience, et de nous affaiblir, car BFMTV est indépendante.” Seule contre le système : un discours qui en rappelle d’autres.