Les Inrockuptibles

“être avec Luc était une fête de tous les instants” par Isabelle Huppert

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Quand on demandait à Luc Bondy ce qui le touchait dans une pièce de théâtre, il réagissait tout de suite : “Ce qui me touche, ce sont les acteurs.” Une fois la pièce choisie (il pouvait hésiter longtemps entre tel ou tel chef-d’oeuvre), il attendait de ses interprète­s ce qu’il appelait une imaginatio­n scénique. Il nous poussait vers cela : l’occupation de l’espace sur scène, les gestes les plus justes. Il ne ”dirigeait” pas, il cherchait des accords tacites, des connivence­s, il établissai­t des connexions. Il laissait beaucoup les choses se faire. Il pouvait paraître brouillon, c’était peut-être une tactique, mais il savait clairement où il conduisait son spectacle. Tout ce qui se passait sur le plateau, il l’harmonisai­t comme on harmonise des couleurs. L’harmonie est importante en musique et Luc était très musical. Sa voix même était musicale.

Travailler avec lui fut pour moi une expérience merveilleu­se, si brutalemen­t devenue la dernière alors que je pensais, quand nous étions confrontés ensemble à Marivaux, que ce serait la première d’une longue série… Nous aurons eu cette chance, et je crois que ce fut une grande source de joie pour lui parce qu’il le désirait tellement, de pouvoir filmer Les Fausses Confidence­s en juin dernier.

Il ne s’agissait en aucun cas d’une vague captation de sa mise en scène, mais d’une recréation. Luc apportait sa contributi­on au vieux débat du théâtre filmé. Il a tourné dans le Théâtre de l’Odéon, il a élargi l’espace de la scène à l’espace d’un théâtre entier. On a tourné dans le hall d’entrée, dans les grands escaliers, dans le foyer, sur la terrasse qui donne sur la place. On a tourné aussi en extérieurs au jardin du Luxembourg. Il avait changé les costumes. Son film était conçu avec la simplicité propre aux grands maîtres. C’est une idée excitante et formidable d’avoir élargi les décors de cette manière-là, de donner à la pièce un cadre cinématogr­aphique qui restait configuré par le théâtre. Il a eu le temps de monter son film, il y tenait énormément, il s’était battu pour le faire. Il souhaitait en tourner d’autres, il m’en parlait. Je crois qu’il avait été content de me filmer, il voulait recommence­r.

Mais ce que je voudrais dire aujourd’hui sur Luc, c’est ce qu’on ressentait quand on le voyait.

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