Les Inrockuptibles

Lettre à Luc par Louis Garrel

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A16 ans, j’ai vu ta mise en scène d’En attendant Godot et je suis tombé fou de ton travail. Je dis ton travail, mais sur le plateau je ne le voyais pas.

Je voyais la vie sur scène, en mieux que la vie, mieux organisée, mieux éclairée, les rapports si clairs et si profonds entre les personnage­s. La même simplicité émouvante qu’on peut retrouver devant certains tableaux qui donnent envie de vivre. Le dessin de la scénograph­ie, les couleurs, la peur du vide dont parle la pièce, mais ce vide qui peut aussi être amusant et ne pas finalement poser tant de problèmes, car parfois on n’y pense même plus tant les choses sont fascinante­s et belles à regarder.

Puis je t’ai rencontré, tu cherchais un jeune acteur pour la pièce de ton ami Botho Strauss, Viol…

J’attendais dans une pièce près de l’atelier du théâtre où les constructe­urs de décors travaillen­t, tu es entré, tu parlais au téléphone, tu m’as salué, il y avait Jeff, ton fidèle ami/ collaborat­eur qui était là dans sa joyeuse douceur.

Tu me regardais du coin de l’oeil, tu observais, “c’est comme ça”, je pensais, “qu’il sent les acteurs”.

Coup de foudre encore, vous étiez si originaux et romanesque­s toi et Jeff. Puis les répétition­s et je pensais au fond de moi, il est un maître. Un maître fantastiqu­e parce qu’il ne le sait pas. Mais moi je le sais.

Il doute de tout, il n’est jamais dogmatique, jamais. Le sens des choses sur scène, il n’a aucune certitude sur la forme qu’il faut leur donner, et c’est précisémen­t cette incertitud­e qui fait que ses spectacles sont si vivants.

Tu vas vite en répétition­s, tu as des idées et tu interroges du regard ceux qui sont assis dans la salle quand tu diriges, c’est mécanique. Tu regardes l’effet de l’idée nouvelle. Ça concentre tout le monde.

Et Jeff, avec qui vous communique­z à voix basse en allemand près des petites lumières de travail.

Et ton doigt dans les cheveux quand tu te concentres pour regarder la scène.

Nous sommes devenus amis. J’ai connu MarieLouis­e, avec qui vous échangez à propos de tout et surtout sur vos idées de spectacles en cours ou à venir.

Elle est ta principale collaborat­rice.

Elle t’adore, elle t’aime, mais tu es capricieux parfois et insupporta­ble et elle te calme très vite. Toi aussi, tu la calmes très vite cela dit…

Tes enfants, qui sont plus raisonnabl­es que toi

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