Les Inrockuptibles

Voyage au bout de l’enfer

Après quinze ans de recherches, le cinéaste et écrivain Bruce Robinson révèle l’identité de Jack l’Eventreur dans They All Love Jack, un livre passionnan­t qui secoue l’Angleterre.

- Par Nelly Kaprièlian photo Tom Oxley pour Les Inrockupti­bles

S’il n’est pas le premier serial-killer, Jack l’Eventreur est sans conteste devenu le plus célèbre. Ses meurtres de cinq prostituée­s, commis en 1888 à Whitechape­l, l’un des quartiers les plus pauvres de Londres, sont parmi les plus atroces – il avait l’habitude de les égorger, puis de les éventrer, de leur prélever utérus et intestins – et sont restés irrésolus. Une énigme qui s’est changée en mythe au fil du temps, “parce qu’on a toujours eu l’impression qu’il s’était tramé quelque chose de bizarre dans les classes dirigeante­s, qu’il s’agissait d’un complot d’Etat contre le peuple. Parce que ça impliquait peut-être la royauté”, nous explique Bruce Robinson, qui vient de publier en Grande-Bretagne They All Love Jack, une somme fascinante de 850 pages, fruit de quinze années de recherches pour démasquer Jack l’Eventreur. Et il semble y être parvenu, au point d’énerver les ripperolog­ists, ces spécialist­es de Jack the Ripper, historiens ou amateurs, “mais surtout de vieux garçons frustrés, le genre à être chauves et à se trimballer avec d’horribles sacs en plastique. Ils me détestent parce que je leur ai piqué leur psychopath­e, et je les déteste aussi”.

Le livre de Bruce Robinson a fait couler beaucoup d’encre en Angleterre, au gré de tribunes pour (surtout) et contre, preuve que le tueur fascine encore. Nombre de films et plus d’une centaine de livres, de fiction ou de non-fiction, lui ont été consacrés, et un musée Jack the Ripper vient d’ouvrir à Londres, de quoi engendrer une polémique, voire un scandale, que Robinson légitime d’une phrase : “Faire un musée autour d’un psychopath­e qui tuait des femmes, c’est misogyne, dégueulass­e.” Aujourd’hui encore, des “Jack the Ripper Tours” sont régulièrem­ent organisés à Whitechape­l, sur les lieux exacts où les cadavres des victimes ont été retrouvés.

A 69 ans, Bruce Robinson a eu plusieurs vies avant de consacrer ces quinze dernières années à traquer le plus grand tueur en série de tous les temps. Acteur chez Franco Zeffirelli dans Romeo and Juliet en 1968, puis pour François Truffaut dans L’Histoire d’Adèle H. en 1975, avant de devenir scénariste pour Hollywood, il est surtout connu pour le premier film qu’il réalisa, Withnail and I, en 1987, où il mettait en scène deux apprentis comédiens en vacances “par erreur” dans un cottage. Grâce à son ironie constante et ses jeux de langage, le film est culte en Angleterre. Il a aussi publié des livres, dont un roman autobiogra­phique, The Peculiar Memories of Thomas Penman, en 1998.

Quand on le retrouve au bar du Groucho, ce club de Soho fréquenté par les écrivains et les journalist­es, les attentats du 13 novembre ont eu lieu quelques jours plus tôt, et Robinson est furieux : “Après ce qu’il vient de se passer, ça me paraît obscène de parler d’un psychopath­e du XIXe siècle. Alors que nous avons affaire aujourd’hui à des psychopath­es organisés qui tuent des centaines de personnes de façon horrible.”

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