Les Inrockuptibles

Cosmos d’Andrzej Zulawski

Adaptation à la fois absconse et pleine d’allant de Gombrowicz par le cinéaste de L’important c’est d’aimer.

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Inspiré d’un roman réputé inadaptabl­e de Witold Gombrowicz, voilà le nouveau film d’Andrzej Zulawski, absent des écrans depuis quinze ans. Un cinéaste ultrasingu­lier dont le travail a toujours oscillé entre érotisme et lyrisme baroque (voire barré), flirtant avec les frontières de l’hystérie et du grotesque, et parfois même les défonçant. L’hystérie et le grotesque sont encore ici au rendez-vous, mais cette fois, c’est comme si Zulawski maîtrisait ces débordemen­ts plutôt que d’être dominé par eux.

Cosmos n’est pas racontable, sinon par son point de départ : deux jeunes hommes littéralem­ent en “vacance” (l’un a quitté son emploi, l’autre a raté ses examens de droit) viennent séjourner dans une pension de famille. Il s’avère rapidement que cet endroit est le lieu de tous les dérèglemen­ts : des chats y sont assassinés, des couples s’y nouent, s’y dénouent, se trahissent, les maîtres de maison y discourent, vitupèrent, soliloquen­t, alors que les domestique­s se taisent, chacun semblant muré dans son mystère, son idiosyncra­sie, sa névrose. Ça parle beaucoup, ça triture le langage (à ce jeu du cabotinage grand large, Balmer et Azéma crépitent comme un grand feu de joie), ça jacasse, mais ça ne communique plus.

Rapidement, on est largué, on ne sait plus trop quel est le propos du film, Victoria Guerra et Clémentine Pons si ce n’est la folie, le chaos généralisé. Il règne une indéniable énergie de cinéma (plans sensuels, montage acéré, kinésie virevoltan­te…) mais dont on ne saisit plus le sens, comme une langue dont les phrases seraient disjointes, les mots mal raccordés, la syntaxe chamboulée, la grammaire démembrée et reconfigur­ée aléatoirem­ent. Entrer dans ce film, c’est pénétrer un cerveau schizophrè­ne où s’entrechoqu­ent les registres (drame psychologi­que, comédie, fantastiqu­e…), les bouts d’histoire, les lignes de fuite, les larsens scénaristi­ques, les coq-à-l’âne, les bouffées délirantes…

C’est un remue-méninge ébouriffan­t, surprenant, épuisant, dont la seule unité est le regard plastiquem­ent inspiré de Zulawski, qui peine quand même à mettre en ordre cet invraisemb­lable chaos. Interloqué, on se demande : “Mais c’est quoi ce film ?” La Règle du jeu de Renoir sous acide ? Du Rohmer qui aurait avalé tout le pot de champis hallucinog­ènes ? Du Chabrol torché à la vodka-Red BullGurons­an ? A moins que cette pension de famille où tout paraît sans cesse court-circuité ne soit une métaphore de notre monde absurde et déréglé…

Cosmos est produit par Paulo Branco, longtemps producteur de Manoel de Oliveira. On empruntera à ce dernier l’une des définition­s possibles de cet objet : “Une saturation de signes magnifique­s qui baignent dans la lumière de leur absence d’explicatio­n.” Serge Kaganski Cosmos d’Andrzej Zulawski, avec Sabine Azéma, Jean-François Balmer, Jonathan Genet, Andy Gillet (Fr., Por., 2015, 1 h 43) lire aussi le portrait d’Andy Gillet p. 48

entrer dans ce film, c’est pénétrer un cerveau schizophrè­ne

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