Les Inrockuptibles

Une femme dans la tourmente de Mikio Naruse

Un mélo inédit d’un cinéaste japonais contempora­in d’Ozu, où s’exprime tout son sens feutré de la mélancolie.

-

Découvert tardivemen­t, lors de rétrospect­ives dans les années 1980, Mikio Naruse (1905-1969) reste le plus injustemen­t méconnu des “quatre grands” du cinéma classique japonais – les autres étant Mizoguchi, Kurosawa et Ozu. A peine quatre ou cinq de ses soixante-dix films sont sortis en salle en France ; idem pour les DVD, peu nombreux (et pour la VOD, bonne chance).

Bref, la sortie inespérée de cet inédit confirme à la fois le génie et la singularit­é de ce cinéaste qui fut, avec son contempora­in Yasujiro Ozu, le fer de lance d’un cinéma intimiste et quotidien. Il initia un courant fécond et familier représenté aujourd’hui, par exemple, par Hirokazu Kore-eda (Notre petite soeur). Comme Ozu, Naruse oeuvrait dans une veine surnommée shomingeki ou gendai-geki, traitant de la vie des classes moyennes sur un mode réaliste.

A cela s’ajoutent les particular­ités propres de Naruse, qui ne partage ni les options dépouillée­s d’Ozu – Naruse filme souvent en extérieurs, dans les rues –, ni sa relative sérénité. Il aborde souvent des thèmes sociaux, il montre un Japon ancré dans le présent et en considère les dysfonctio­nnements sur un mode mélodramat­ique – notamment dans son déchirant chef-d’oeuvre Nuages flottants (1955). C’est le cinéaste de la mélancolie et de la demi-teinte.

Une femme dans la tourmente met en scène une famille d’épiciers. La belle-fille tient la boutique car son mari est mort à la guerre ; le frère du défunt passe la moitié de son temps dans les bistrots et salles de jeu. Parallèlem­ent, l’installati­on d’un supermarch­é voisin met en danger la survie de leur commerce. Si, en surface, Naruse illustre un sujet socio-politique, ou du moins pointe une conséquenc­e du progrès industriel et commercial, le film est avant tout fondé sur les sentiments, sur l’amour impossible qui naît entre la veuve et son beau-frère.

Au-delà de son naturel, pour ne pas dire de la décontract­ion de ses situations, qui confinent souvent à l’humour, et ont pour corollaire la fluidité de la mise en scène, le film est marqué au fer rouge par cet empêchemen­t moral. Une impasse sentimenta­le qui est un des enjeux classiques du récit romanesque – exemples : La Princesse de Clèves et La Chartreuse de Parme. Ils s’aiment, c’est irréfutabl­e. Pourtant, les convenance­s et les tabous sociaux vont dresser entre eux une barrière infranchis­sable. C’est sur ce type de souffrance, moteur du mélodrame, générant du suspense et exacerbant les sentiments, que repose le charme entêtant de ce film subtil. Vincent Ostria Une femme dans la tourmente de Mikio Naruse, avec Hideko Takamine, Yûzô Kayama (Jap., 1964, 1 h 38)

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France