Les Inrockuptibles

Hemingway 1, Daech 0

Avec plus de 40 000 exemplaire­s vendus depuis le 13 novembre, d’Ernest Hemingway est devenu le “livre de résistance” d’après les attentats. Décryptage.

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C’est l’un de ces phénomènes post-13 novembre qui donnent des raisons d’espérer. Le livre caracolant en tête des ventes, depuis les attentats, n’est pas l’un des “essais” xénophobes d’Eric Zemmour mais une déclaratio­n d’amour à notre capitale écrite par un Américain il y a plus de cinquante ans : Paris est une fête d’Ernest Hemingway. Ecrit entre Cuba et l’Espagne de 1957 à 1959, publié à titre posthume en 1964, ce récit raconte la bohème parisienne de l’aspirant écrivain et de son épouse dans les années 20. Un hommage magnifique à la ville, sa vie nocturne décadente, son grain de folie. Hemingway discute avec les commerçant­s de la rue Mouffetard, squatte la terrasse des Deux-Magots, s’enivre avec Ezra Pound, Jules Pascin, Francis Scott Fitzgerald.

“Se plonger dans ce livre, dans le contexte actuel, m’a servi de thérapie”, confie un ami

Hommage aux victimes des attentats

de Paris, le 14 novembre

2015 pourtant peu porté sur la lecture. Chez Gallimard, on s’étonne toujours de ce succès inédit qui va crescendo. La maison d’édition rappelle qu’elle en vendait “avant” en moyenne quinze exemplaire­s par jour. Dès le week-end suivant le drame, les libraires étaient en rupture de stock. L’éditeur a d’abord réimprimé à 20 000 (en Folio), avant de monter à 30 000 puis 40 000 exemplaire­s la deuxième semaine.

Le buzz autour du livre s’est d’abord créé sur les réseaux sociaux, notamment grâce à Danielle, “la grand-mère que le Web rêve d’avoir”, comme l’a baptisée Le Monde. Cette femme est devenue célèbre à la suite d’une interview sous forme de micro-trottoir diffusée sur BFMTV au lendemain des attentats. Elle y déclarait : “Nous fraternise­rons avec les cinq millions de musulmans qui exercent leur religion librement et gentiment”, avant de suggérer de lire, “plusieurs fois, le livre d’Hemingway. Parce que nous sommes une civilisati­on très ancienne, nous porterons au plus haut nos valeurs”. Bientôt, des exemplaire­s du livre étaient déposés devant les lieux du drame, entre les fleurs et les bougies.

Paris est une fête dresse aussi le portrait sans concession d’une “génération perdue”, comme l’indique le titre d’un des chapitres. L’expression est de Gertrude Stein, avec laquelle Hemingway se lia d’amitié à Paris. Elle désigne ces jeunes désoeuvrés, encore traumatisé­s par la Grande Guerre, parmi lesquels il faut compter les Américains restés comme lui en France après avoir combattu aux côtés des Français. L’auteur du Vieil Homme et la Mer pensa d’ailleurs intituler d’abord ces mémoires parisienne­s Ce que personne ne sait ou encore Espérer et bien écrire (Histoires parisienne­s) avant de changer d’avis.

Etrange coïncidenc­e et prémonitio­n avérée, Paris est une fête est également le titre de ce film que tournait Bertrand Bonello cet été, dans lequel des jeunes gens posent des bombes au coeur de la capitale… Après le 11 janvier, le Traité sur la tolérance de Voltaire avait connu une fortune comparable au livre d’Hemingway. Il s’est vendu à 120 000 exemplaire­s depuis. Un record qui risque d’être battu par le nouveau “best-seller” de l’écrivain américain. Yann Perreau photo Stéphane Lagoutte/M.Y.O.P Paris est une fête première parution en 1964, réédition en 2011 (Gallimard), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marc Saporta 256 pages, 8 €

Paris est une fête

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