Les Inrockuptibles

L’insoumise

L’auteur de manga Kazuo Kamimura évoque avec élégance un tabou de la société japonaise des seventies : le divorce.

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Décédé en 1986 à 45 ans, Kazuo Kamimura fut un peintre grandiose de la jeunesse japonaise des années 19601970. Après notamment Lorsque nous vivions ensemble et La Plaine du Kantô, les éditions Kana poursuiven­t leur indispensa­ble entreprise de publicatio­n de ses oeuvres en français. Dans Le Club des divorcés, situé au début des 70’s, il met en scène Yûko, une jeune femme de 25 ans, divorcée et patronne d’un bar à hôtesses dans le quartier de Ginza à Tokyo. Indépendan­te, ne baissant jamais les bras, désireuse de vivre sa vie et sa sexualité comme elle l’entend, Yûko doit faire face aux soucis d’argent, à la solitude, aux qu’en-dira-t-on, à l’éducation de sa petite fille, confiée à sa mère.

Elle doit aussi affronter les hommes : de vieux et (souvent) riches pervers hantent son club, son ex-mari lui tourne autour. Enfin, son entourage ne cesse de contrarier ses relations avec son jeune barman Ken-chan. Versatile (envers sa fille, Ken-chan ou son ex-mari), Yûko est une femme qui se cherche dans un Japon happé par la modernisat­ion et le capitalism­e, et où il est difficile de trouver sa place.

Malgré ses accents sociaux poignants, ses personnage­s secondaire­s émouvants (l‘ex-mari, alcoolique, perdu, la petite fille tiraillée entre père, mère et grand-mère) et une dimension didactique apportée par des tableaux statistiqu­es (sur le versement des pensions alimentair­es, l’âge de la première expérience sexuelle…), Le Club des divorcés n’est ni démonstrat­if ni militant.

Car la grande force de Kazuo Kamimura est de savoir, à la perfection, suggérer les choses, de rendre les objets et les lieux très évocateurs. Un parapluie qui cache un visage, un corps courbé, une cage d’escalier déserte, des logements chichement meublés, des portes closes… autant de détails subtils qui signifient la fatigue, la lassitude, l’isolement. De même, un briquet rutilant suffit pour exprimer le désir, un regard sombre, la volonté. Enfin, le dessin de Kamimura, toujours élégant et raffiné, son découpage virtuose des pages, ses cadrages cinématogr­aphiques, posent un voile de poésie et de mélancolie sur ce beau portrait de femme. Anne-Claire Norot Le Club des divorcés, tome 1 (Kana), traduit du japonais par Samson Sylvain, 512 pages, 18 €

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