Sans paroles
Pierre Guillois, Olivier Martin-Salvan et Agathe L’Huillier se lancent à corps perdu dans une comédie aux allures de courts métrages du cinéma muet.
Le pitch de Bigre pourrait se résumer à celui de Vol au-dessus d’un nid de coucou, où les pathologies à observer sont là pour nous amuser, dans les reflets d’un miroir brisé épinglant le pathétique de nos modernes solitudes. Ils sont trois à avoir élu domicile dans les soupentes de ce dernier étage où les murs sont aussi épais que du papier de soie. L’un a transformé sa piaule en white box design, l’autre y accumule un tel bricà-brac qu’il doit dormir dans un hamac, et la troisième, en prenant les deux premiers pour cobayes, hésite à trouver sa voie entre la pratique de ratages capillaires définitifs et l’expérimentation hasardeuse des techniques de l’ostéopathie en chambre.
Pierre Guillois, Olivier Martin-Salvan et Agathe L’Huillier incarnent trois misfits drolatiques pour qui rien n’est simple dans la vie. Un univers qui fait de l’oeil à la poésie désuète des amants de Peynet, à celui très efficace du slapstick du cinéma muet. Avec Bigre, Pierre Guillois a la belle idée de proposer à ses deux partenaires d’inventer un théâtre où les situations priment, où l’on a nulle nécessité à s’embarrasser d’un texte pour se faire comprendre. A l’écoute des salves de rires parcourant les rangs du public, l’exercice de style touche au but et tous les coups font mouche. A la manière des comptines, on progresse du coq à l’âne et chacune des saynètes sans queue ni tête nous entraîne vers une autre toute aussi désopilante de nonsense.
On se gardera bien de raconter une fin aux allures d’apocalypse rabelaisienne, pour se contenter de souligner la rareté d’un tel objet. Dans un monde où tout n’est que bruit et fureur, cette éloquence proche du mutique en dit long sur notre capacité à combler le vide laissé par l’absence de paroles… L’espace d’une soirée, Bigre devient une expérience de théâtre participatif où, dans le secret de son for intérieur, chacun improvise ses punchlines pour devenir l’auteur des dialogues de cette comédie en forme de mélo burlesque suranné. Patrick Sourd Bigre de et avec Pierre Guillois, Agathe L’Huillier et Olivier Martin-Salvan, du 15 décembre au 17 janvier au Théâtre du RondPoint, Paris VIIIe, theatredurondpoint.fr