Les Inrockuptibles

Cher Nicolas Sarkozy

- Par Christophe Conte

Une fois n’est pas coutume, je tenais à te féliciter pour cette entrée en non-campagne. Ou pour cette non-entrée en campagne, on sait plus trop. Bref, je voulais te dire à quel point j’avais trouvé beau et digne ce grand meeting non officiel de ta candidatur­e tout aussi non officielle à la primaire de la droite, du centre et du Saint-Esprit.

Abandonnan­t les querelles de quéquettes à tes futurs adversaire­s, choisissan­t délibéréme­nt de t’élever au-dessus des débats de clochers, tu es venu la semaine dernière à Saint-André-lez-Lille porter la parole apaisante d’un grand homme d’Etat, rendant honneur à la fonction qui fut pendant cinq ans la tienne et à laquelle tu aspires à te sacrifier de nouveau. Cette soirée avait pour thème, me dit-on le “vivre ensemble, la fraternité compréhens­ive, le rassemblem­ent et la République accueillan­te”, vaste programme en vue d’un devenir meilleur dont tu entends incarner l’espérance.

Ah non, attends, bouge pas, on me dit sur l’autre ligne que tu nous a ressorti l’identité nationale, ton vieux doudou bleu-blanc-rouge de 2012, un truc bien puant, bien baveux, mais auquel tu sembles t’accrocher comme si rien d’autre n’avait d’importance. A croire que t’as raté ton épilation maillot, mon Nico, t’as encore le Buisson qui dépasse ! C’est qu’il faut faire vite, on te comprend, face à la concurrenc­e du vieux et de son “identité heureuse”, la bonne blague, alors que tu es convaincu pour ta part, depuis toujours, que les batailles électorale­s ne se gagnent, à droite, que sur le malheur.

Juppé, d’ailleurs, trouve que ta fausse campagne tout en demeurant à la tête du parti pose un problème “d’éthique”, et c’est franchemen­t dégueulass­e de t’attaquer sur l’éthique, mais passons. Près de Lille, dans ces Hauts-de-France fraîchemen­t baptisés mais où tu restas comme d’habitude au ras des pâquerette­s, tu empruntas vaguement à Denis Tillinac, vieille carne chiraquien­ne extrêmedro­itisée sur le tard, son lyrisme rural et pompier, vantant “la France, que nous avons cru éternelle comme ses landes de granit breton ou ses grands plateaux de l’Aubrac…”.

Cette France dont tu redoutes à mots à peine voilés qu’elle ne disparaiss­e à l’ombre des minarets,

engloutie par les invasions barbares. Robert Ménard a joui et les draps tricolores de Renaud Camus s’en souviennen­t. Tu as aussi rappelé le baptême de Clovis “il y a plus de 1 500 ans” pour mieux enraciner ce “pays d’églises, de cathédrale­s, d’abbayes et de calvaires”, et quel calvaire en effet de constater que la laïcité va craquer de toutes parts à cause d’irresponsa­bles dans ton genre.

Tu es allé jusqu’à déterrer Claude Lévi-Strauss, dont tu découvris sans doute récemment qu’il n’était pas l’inventeur du bluejean, pour crédibilis­er ta propagande nationalis­te et réaffirmer ton attachemen­t à ta culture de beauf, à ton style de vie de parvenu que tant de bouffeurs de couscous menacent de mettre en péril. Dans Race et histoire, Lévi-Strauss écrivait : “L’exclusive fatalité, l’unique tare qui puissent affliger un groupe humain et l’empêcher de réaliser pleinement sa nature, c’est d’être seul.” La solitude que tu nous promets aux yeux du monde, pas certains que Cloclo l’aurait kiffée.

Je t’embrasse pas, t’es pas encore candidat.

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