Didier Varrod quitte la direction musicale de France Inter pour reprendre l’antenne. Il explique son choix
A 55 ans, Didier Varrod a annoncé qu’il quittait la direction de la musique de la station publique pour revenir à l’antenne avec une émission hebdomadaire. L’occasion d’un bilan sur sa mission et d’une explication sur sa vision de la musique à la radio.
Pourquoi avoir décidé de quitter la direction de la musique de France Inter alors que vos idées et vos goûts sont plébiscités ?
Didier Varrod – Dès que j’ai pris cette fonction, il y a quatre ans, j’ai considéré que c’était une mission de service public, et non un métier, et qu’elle devait donc se dérouler dans un temps précis. Quand Philippe Val et Jean-Luc Hees m’ont proposé ce poste, je m’étais donné trois ans. Je connaissais la maison, ses vertus et ses lourdeurs ; j’y travaille depuis 1985. J’avais conscience que ce ne serait pas facile de faire bouger les choses. Je voulais aller vite. J’ai donc donné beaucoup de mon temps, de ma vie et de ma personne. Et, comme dit Nougaro, il faut savoir tourner la page, et le faire au moment où l’on sent poindre dans les talons une petite lourdeur.
Quand avez-vous éprouvé cette lourdeur ?
Après les attentats. Ceux de janvier ont été un traumatisme en interne, car il existait quelque chose d’organique entre la station et les plumes de Charlie. On a fait un concert avec Asaf Avidan, le soir de la tuerie de l’Hyper Cacher le 9 janvier, avec tout ce que cela sollicitait comme énergie et comme questionnements. Quand tu prévois d’organiser un concert et que tu sais que le Mossad est dans la baraque, que les services de Matignon doutent de la pertinence du concert, on entre dans une autre dimension. On s’en est tous relevés, mais les attentats de novembre ont changé la donne. La place de la musique est questionnée, pas seulement en termes de parts de marché, mais sur ce à quoi sert la musique dans la société. Je pense qu’on y a répondu à notre manière avec la programmation, notamment grâce aux événements comme Allons enfants du Bataclan. Après cela, il faut se remettre dans le match, trouver d’autres initiatives, faire comme si tout cela n’avait pas existé. Et là, tu sens une petite raideur que tu n’as pas le droit d’avoir à ce poste : il y a tellement de gens malheureux dans
leur boulot, qui ont plus de contraintes que d’avantages. Ici, c’est l’inverse, j’écoute de la musique toute la journée et j’essaie de la porter au mieux. Alors, voilà, j’ai dit en janvier à la directrice d’Inter, Laurence Bloch, que j’avais envie de revenir à mon coeur de métier.
Pour animer de nouveau une émission à l’antenne ?
Oui. Le vendredi, de 21 heures à minuit. Pendant cette année cruciale, on m’a demandé de revenir à l’antenne pour incarner la musique. Je veux qu’on entende beaucoup de disques dans cette émission, créer un mix entre Lenoir et Foulquier. Des musiciens viendront en studio, des générations se rencontreront. Il y aura aussi une heure de live.
Il y aura d’autres nouvelles émissions ?
Michka Assayas animera une quotidienne à 21 heures, Laurent Goumarre continuera à proposer des live… Tout n’est pas fixé, mais la musique sera bien représentée. On a travaillé avec Laurence Bloch à ce que la personne qui me succède soit la bonne.
Le climat crépusculaire du paysage musical indépendant a-t-il pesé ?
Oui. Je pense à toute cette génération de musiciens qu’on a portée sur Inter : Alex Beaupain, Albin de la Simone, Bertrand Belin, Vincent Delerm, Arthur H…
Vraiment ? Mais ils ne sont pas au contraire installés dans le paysage ?
Si, mais s’il n’y a qu’Inter, cela va devenir compliqué pour eux. Ce n’est jamais bon de dépendre d’un seul média. L’énergie que me renvoient les maisons de disques, c’est cela : “De toi dépend notre vie.” C’est certes une position enviable, mais le brouillard s’épaissit, et j’ai envie de revoir un peu l’éclaircie, de savoir qui sont vraiment mes amis et ceux qui me font la danse du ventre parce que je suis directeur. Je n’ai pas envie de me rendre malade.
Sur quels artistes l’impact du soutien d’Inter est-il décisif ?
Sur tous les artistes qui arrivent sur le marché, au moment de leur premier album. Feu ! Chatterton, Christine And The Queens, Benjamin Clementine, Fauve≠, The Shoes… Tous ont pu sortir fortement grâce à Inter et quelques journaux prescripteurs. Mais, à côté, il y a aussi tous les musiciens présents depuis des années et menacés de rétrograder en deuxième division. Beaucoup sont obligés aujourd’hui de faire autre chose que de la chanson pour continuer à exister : des livres, des BO, du théâtre…
Comment voyez-vous la scène musicale française des années 2010 ?
Foisonnante. Je suis arrivé en voulant renouveler une génération. J’ai eu cette chance d’avoir cette scène fondée sur l’hybridation, avec comme porte-parole Christine And The Queens. Derrière, on a des projets tous les jours : des gamins nés avec une souris dans la main, déculpabilisés sur la question du statut et de la notoriété, dont le territoire est le monde. C’est eux qui m’ont donné cette vitalité. Je reste très attaché à Woodkid avec qui j’ai fait ma première opération : une journée spéciale, comme si c’était Alain Souchon ou Dominique A. Je voulais prendre des artistes venus de nulle part comme des artistes du patrimoine. Autant en interne qu’à l’extérieur, cela a eu un effet d’entraînement. Et on a pu récidiver avec Christine And The Queens. Fauve≠ ou Benjamin Clementine ont aussi joué le jeu.
Dans votre bilan, qu’est-ce qui vous importe le plus ?
Les journées spéciales. Et surtout d’avoir changé une donne : la musique spécialisée a toujours été portée le soir. Le matin, c’était des marqueurs rassurants. J’ai décidé d’inverser cela. On peut passer Feu ! Chatterton, Woodkid, La Femme ou Fauve≠ le matin. Pascale Clark a été une alliée sur cette envie. Ce principe de la nouveauté à 9 h 20 est désormais un acquis. On a montré que c’était de cette manière que France Inter était prescriptrice. C’est là qu’on est visible. propos recueillis par Jean-Marie Durand
“beaucoup d’artistes sont obligés de faire autre chose que de la chanson”