Les Inrockuptibles

L’Idéal de Frédéric Beigbeder

Une satire de l’industrie du luxe qui se prend les pieds dans le cynisme qu’il entend dénoncer.

- L’Idéal de Frédéric Beigbeder, avec Gaspard Proust, Audrey Fleurot, Jonathan Lambert (Fr., 2016, 1 h 30)

Comment dire ? On l’aime bien, Beigbeder, pour son élégance, son esprit, sa légèreté, sa touche radicale chic mondaine, qui en font le Sagan de notre époque, mais son détachemen­t dandy passe mal au cinéma. Sur le papier, cette satire d’une grande marque de cosmétique­s (L’Idéal, évocation à peine voilée de L’Oréal), où l’on retrouve Octave Parango, le héros de son roman 99 francs adapté par Jan Kounen en 2007, est truffée de bonnes idées : montrer la brutalité mercantile du milieu de la mode, son mépris des êtres, son culte crypto-fascisant de la beauté, son style de vie cocaïné jusqu’au néant ; rappeler le passé collabo de L’Idéal et faire de la grande patronne des canons de la beauté un trans pas très beau (Jonathan Lambert, très bon) ; montrer une mannequin qui se défend d’être antisémite par un plaidoyer involontai­rement bourré des pires clichés du genre (“Je ne suis pas antisémite, mon banquier est juif”, etc., tirade assez lol) ; aligner les punchlines (“39-45 évoque pour elle une question de pointure”).

Mais la mayo ne prend pas parce que Beigbeder appuie à fond sur la fascinatio­n que produit cet univers “sex & drug & fric” sur certains, poussant la roublardis­e autopromot­ionnelle jusqu’à arborer son magazine, Lui, dans la première séquence du film alors qu’Audrey Fleurot fait dans le même temps la couve dudit mag. Certes, dans le dernier tiers du film, Octave Parango baisse les armes, s’essaie aux joies simples de la famille, mais cette phase rédemptric­e semble encore plus fausse que l’infernal paradis artificiel qui précède. A un moment, entre deux fêtes décadentes et trois bombasses, Parango s’adresse au spectateur mâle : “Mon métier est dégueulass­e mais vous rêveriez tous de l’exercer, hein ?” Euh, non, franchemen­t pas, car certains hommes ne sont pas réductible­s à leur bite, sont aussi pourvus d’un cerveau, d’une éthique, d’une forme d’humanisme, ou plus simplement de ce que Freud appelait le surmoi.

Le film joue de cette ambiguïté dégoût/

fascinatio­n, mais sans l’étincelant­e virtuosité d’un Scorsese (et d’un DiCaprio) dans Le Loup de Wall Street, si bien qu’une large part de la satire et des répliques tombe à plat. Peut-être aussi que L’Idéal arrive dans un timing peu idéal : après le 7 janvier et le 13 novembre, au moment où l’esprit Canal agonise, alors que la guerre de tous contre tous n’est plus un fantasme mais une hypothèse plausible, on a envie d’humour bienveilla­nt, réparateur, combatif, plutôt que du 48e degré faussement critique de ceux qui trônent au sommet du système. Serge Kaganski

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