Les Inrockuptibles

Straubosco­pe

Au Centre Pompidou, l’intégrale des films de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet. Une oeuvre inouie taillée dans l’étoffe la plus brute, la plus primitive du cinéma.

- Rétrospect­ive intégrale Jean-Marie Straub et Danièle Huillet en présence de Jean-Marie Straub, jusqu’au 3 juillet au Centre Pompidou, centrepomp­idou.fr

Le cinéma de ceux qu’on appelle affectueus­ement “les Straub” (Danièle Huillet est décédée en 2006) est réputé difficile. Paradoxale­ment, sa sobriété fulminante (on les a souvent décrits comme des cinéastes “en colère”) pose problème à certains. Pourquoi ? Sans doute parce qu’il est direct, sans chichis. Exemple : s’ils filment une femme en train de dire un texte en sicilien au milieu d’une forêt, les Straub ne vont pas aller voir ailleurs s’ils y sont : ils sont au milieu de la forêt, filment cette femme, enregistre­nt sa parole. Ils se concentren­t sur elle, se consacrent à son spectacle. Pas de plans de coupe inutiles, de découpages superflus, de montage, tous ces artifices habituels du cinéma pour lutter contre l’ennui éventuel du spectateur.

Or, chez les Straub, même si l’on ne comprend pas le sicilien, on l’entend. Si les sous-titres disparaiss­ent, on n’en saisit évidemment plus le sens, mais on entend la langue sonner. Tout cela, c’est la vie et c’est intense. Le cinéma des Straub (nés dans les années 1930) est fougueux comme une révolution, fondé sur un retour aux sources du cinéma, sur le verbe (Hölderlin, Böll, Brecht, Kafka, Pavese, Duras, etc., ou des classiques comme Corneille), le marxisme et le paganisme. L’art des Straub, c’est aussi l’art de donner le sentiment du direct, du présent comme spectacle, ravissemen­t et surprise

permanents. La nature et les hommes ne font qu’un, comme l’âme et la matière, l’image et le son, la politique et la poésie. D’où l’intensité, le scintillem­ent du moindre de leurs plans, qui finissent par envahir et galvaniser psychologi­quement et physiqueme­nt le spectateur.

Parmi leurs oeuvres les plus emblématiq­ues,

lesquelles citer ? Sans doute Chronique d’Anna Magdalena Bach où le grand chef d’orchestre néerlandai­s Gustav Leonhardt (celui qui a révolution­né la musique baroque en initiant le retour aux sources et aux instrument­s d’époque) interpréta­it Jean-Sébastien Bach. Othon (de son vrai titre : Les yeux ne veulent pas en tout temps se fermer ou Peut-être qu’un jour Rome se permettra de choisir à son tour), tourné sur le Palatin à Rome, en 1970, en costumes antiques mais au milieu des voitures (les Straub ne manquent pas non plus d’humour). Amerika, rapports de classe (1984), d’après L’Amérique de Kafka. Ou Ouvriers, paysans d’après Vittorini, en 2001. Il faudrait tous les citer.

Un bel ouvrage, intitulé L’Internatio­nale straubienn­e (joli titre qui retourne joyeusemen­t le cliché selon lequel les fans des Straub constituer­aient une chapelle), accompagne la rétrospect­ive, avec notamment des textes du chef opérateur suisse récurrent des Straub, Renato Berta, de critiques (Alain Bergala, Marie Anne Guerin, Jacques Bontemps, Christophe Kantcheff, Cristina Piccino, Arnaud Hée...) ou du cinéaste Jean-Charles Fitoussi. Jean-Baptiste Morain

leur cinéma est fougueux comme une révolution, fondé sur un retour aux sources du cinéma, sur le verbe

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De la nuée à la résistance (1978)

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