Boomerang kids
Portée par l’hilarant Sébastien Chassagne en trentenaire revenu habiter chez sa mère, Irresponsable manie la comédie sociologique avec assurance. Une promesse de plus pour les séries françaises.
Un soir d’été 2015, la Fémis (principale école de cinéma parisienne) présentait les fruits du travail de sa première promo de diplômés issus du nouveau département “création de séries TV”, ouvert deux ans avant. Parmi plusieurs pilotes d’un niveau général très correct, une comédie romantique et familiale barrée sortait du lot.
Un an plus tard, Irresponsable, créée par Frédéric Rosset, propose sa première saison de dix épisodes, après avoir été achetée et développée par OCS – principal diffuseur de HBO en France, qui s’est lancé il y a plusieurs années dans la création originale avec notamment FranceKbek ou Lazy Company.
Emilie Noblet, pourtant excellente réalisatrice de la première version du pilote, a été remplacée par Stephen Cafiero, quelques changements ont eu lieu au casting mais l’essentiel demeure : un pitch prenant et un ton décalé que la télé française, à force d’avoir négligé la comédie, ne touche que par intermittence.
La banlieue parisienne chic de Chaville sert de décor vaguement morne aux aventures d’un oiseau tombé du nid prénommé Julien, même si techniquement, c’est plutôt le contraire qui se produit : il remonte dans le nid quitté il y a longtemps. A 31 ans, cet éternel ado retourne vivre chez sa mère parce qu’il n’a plus de travail et donc peu de revenus. Branleur dans
l’âme, il ne fait pas plus d’effort que cela pour revenir dans le game. La sociologie pourrait arriver à grand pas – d’ailleurs elle ne se trouve jamais trop loin –, mais Irresponsable n’a heureusement rien d’un dossier de magazine spécial trentenaires précaires et/ou adulescents.
Son enjeu central s’épanouit ailleurs, dans la révélation faite au cours du premier
épisode que le héros dans la lose n’aura plus jamais la même vie. Au restaurant chinois, devant un aquarium (attention, spoiler), son amour de jeunesse, Marie, lui annonce que si elle l’a brutalement quitté quand ils étaient ados, c’est parce qu’elle était enceinte de lui. Un jeune geek à lunettes fumeur de joints (portant le doux prénom de Jacques) se retrouve dans ses pattes – à moins, une nouvelle fois, que ce soit le contraire.
Une paternité tombée du ciel, un amour de jeunesse retrouvé, une maman encombrante, Irresponsable tisse au cours de cette première saison un faisceau de sujets sérieux qu’elle passe au filtre burlesque, grâce à son amour inconditionnel du gag qui puise dans une histoire de la comédie allant des grandes figures des années 1970, de type Yves Robert, aux références moins avouables de la décennie suivante comme P.R.O.F.S.
L’univers trash de certains teen movies américains pointe aussi son nez, sans que la puissance d’écriture et de mise en scène ne parvienne complètement à atteindre le but que la série semble s’être elle-même fixé : chercher la comédie chimiquement pure et la trouer d’émotions fortes – la relation père-fils pourrait s’épaissir.
Les conditions économiques très inférieures à ce que proposent les grandes chaînes type Canal+ ou même Arte y sont peut-être pour quelque chose, même si Irresponsable ne donne jamais l’impression d’avoir été filmée au caméscope ni écrite en un week-end. Son potentiel déjà bien exploité ne demande qu’à exploser dans un futur qu’on espère clément. Celui-ci devrait l’être notamment grâce à la qualité des comédiens, Théo Fernandez (le fils) et Sébastien Chassagne (le père) en tête.
Ce dernier emporte presque toujours le morceau grâce à un mélange détonnant de nonchalance et de précision rythmique. Une qualité qui le rend drôle en même temps qu’attachant. Se promener à ses côtés dans le monde d’Irresponsable fait toujours envie. Olivier Joyard
un pitch prenant et un ton décalé que la télé française ne touche que par intermittence