Les Inrockuptibles

“un moine dans une grande fête”

Avant les millions d’exemplaire­s et les tubes en rafale de son album Play, en 1999, Moby était un DJ en galère dans la scène rave new-yorkaise. C’est ce qu’il raconte dans un livre de mémoires épatant.

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Porcelain est un livre sur votre jeunesse, mais aussi sur le New York des années 1990. Vous habitez à Los Angeles depuis six ans. New York vous manque-t-il ?

Moby – C’est drôle, j’ai l’impression que la ville devrait me manquer plus. J’y suis né, j’en ai été amoureux pendant longtemps, je croyais que j’y passerais ma vie. Mais les choses ont changé. D’abord, moi-même : j’ai arrêté de boire il y a huit ans, et la vie nocturne là-bas est beaucoup moins drôle quand on est sobre. Et puis la ville a changé : aujourd’hui, New York ressemble plus à Genève et moins à Mexico. La plupart des artistes, écrivains et musiciens que je connaissai­s sont partis.

Dans la première partie du livre, vous êtes un DJ qui monte dans la scène rave, mais vous êtes aussi chrétien, vegan, sobre, blanc… Vous vous décrivez comme un marginal. Le succès a-t-il guéri ce sentiment ?

J’ai grandi très pauvre dans une banlieue riche, ma mère était une hippie qui fumait des joints dans une ville pleine de gens de la finance. Enfant, cela faisait de moi un outsider. Ensuite, je le suis resté, presque par choix. Aujourd’hui, je pourrais m’intégrer plus et mieux, mais j’aime ce statut, il me permet d’observer les choses avec plus d’acuité.

Vous racontez que vous faites la fête mais vous vivez comme un reclus…

Le métier de DJ est très solitaire. On est dans un environnem­ent très social mais on ne socialise pas. On passe des disques alors que tout le monde s’éclate en picolant. C’est presque comme être un moine dans une grande fête. Et l’écriture, c’est le summum. Le seul métier plus solitaire qu’écrivain, c’est peut-être garde forestier dans une forêt où personne ne va jamais.

Vous décrivez ce moment, vers 1993, où la scène techno a changé, où tout est devenu plus sombre. Alors que le commenceme­nt semble avoir été très joyeux…

Cette partie du livre, où on passe de la joie à la noirceur, décrit une époque très triste pour moi. De 1990 à 1993, le monde des raves et de la techno, c’était le paradis. La musique, les machines, les drogues, les vêtements… Tout était nouveau ; tout était inventé par des gamins, ça ne venait pas de grandes entreprise­s. Chaque chanson parlait de bonheur. Et puis les drogues ont changé, la musique est devenue plus dark… Le changement est arrivé très vite. Tout d’un coup, tous les DJ cool ont arrêté de jouer de la musique joyeuse. Le côté industriel, noir, sombre a pris le dessus, et ça m’a beaucoup déprimé.

Vous réalisiez l’ampleur de la révolution musicale dont vous faisiez partie ?

Non, parce que c’était tout petit… Je n’avais aucune idée que ça allait durer, ou que quiconque s’y intéresser­ait un jour. En Europe, la dance music passait à la radio, mais pas aux Etats-Unis. On pensait que ça disparaîtr­ait et que Michael Jackson continuera­it à vendre des millions de disques. propos recueillis par Clémentine Goldszal

“le seul métier plus solitaire qu’écrivain, c’est peut-être garde forestier dans une forêt où personne ne va jamais”

Porcelain (Seuil), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Cécile Dutheil de la Rochère, 432 pages, 22 €

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