Les Inrockuptibles

The Witch, Belladonna, L’Idéal…

Diable, sorcière et forêt hantée dans un sidérant premier film américain qui remonte aux origines de l’horreur.

- The Witch de Robert Eggers, avec Anya TaylorJoy, Ralph Ineson (E.-U., G.-B., Can., 2015, 1 h 33)

Premier long réalisé par un jeune Américain passé sous nos radars, Robert Eggers, The Witch n’arrive pas tout à fait vierge d’informatio­ns en France. Présenté en 2015 au festival de Sundance, d’où il est reparti avec un prix de la mise en scène et une flopée de critiques élogieuses, le film fut annoncé comme l’énième “renouveau du cinéma d’horreur”, tandis qu’il affola les chiffres du box-office US et provoqua même un débat religieux, s’attirant les sympathies conjointes de l’Eglise catholique et… du Temple satanique.

Quoiqu’un peu délirant, l’effet de hype n’est cette fois-ci pas totalement immérité : The Witch est bien l’un des meilleurs films d’horreur vu depuis des lustres, un objet radical, malin et terrifiant, apte à redorer un peu le blason d’un genre dont on vérifie chaque semaine l’état de déliquesce­nce avancé.

Inspiré d’une histoire vraie, dit-on, le film a comme première singularit­é d’inscrire son récit dans un contexte peu visité par le cinéma horrifique, et pourtant fertile en imaginaire démoniaque : la Nouvelle-Angleterre du XVIIe siècle, son climat d’apocalypse, ses villages

boueux, son ciel bas, ses curés idolâtres et ses chasses aux sorcières. Là vit une famille de colons issue de Grande-Bretagne que l’on découvre, dès les premiers plans, assignée devant un tribunal public.

Mise au ban de la communauté pour ses conviction­s religieuse­s trop extrêmes, la petite tribu s’établit à l’intérieur des terres, en bordure d’une forêt sauvage, noire, profonde, que la légende dit hantée par l’esprit du Malin. Un premier enfant disparaît. Puis un second. Toute la famille se met bientôt à délirer, cherchant les raisons de sa malédictio­n. La forêt abrite-t-elle une bête sauvage ? Le divin tenterait-il de faire passer un message ? L’aînée du clan, une jeune fille en pleine puberté, n’aurait-elle pas signé un pacte avec le diable ?

La première partie du film exploite habilement ce climat paranoïaqu­e, épousant la forme d’un huis clos familial incendié par la dévotion malade et obscuranti­ste d’une époque pas si lointaine. Entre les quatre murs de ce foyer maboul, Robert Eggers organise un jeu de massacre auquel il offre une résolution inattendue, qui fait basculer le film dans un régime d’horreur hyperclass­ique.

C’est la belle idée de The Witch, qui se distingue des convention­s postmodern­es et ricanantes du genre contempora­in pour retourner à la source des mythologie­s horrifique­s, à leurs ressorts ancestraux, chimiqueme­nt purs. Diables cornus, sorcières cannibales, forêts hantées et sacrifices rituels : Robert Eggers réinvestit avec une foi inouïe les plus vieilles figures du genre, qui retrouvent là toute leur force d’évocation.

Ce choix du classicism­e dicte aussi la mise en scène fulgurante du jeune cinéaste. Ici, pas de jump scare (procédé consistant à faire sursauter le spectateur), de ruses numériques ni de portes qui claquent, mais une horreur contemplat­ive, diffuse, pointillis­te, qui prend son temps et ménage ses effets.

Même s’il frôle parfois une forme de raideur arty, le film sidère par sa capacité à produire des visions de terreurs homériques avec trois fois rien : un jeu d’ombre, une voix off d’outre-tombe, le sifflement du vent et un sens délicat du hors-champ. L’inspiratio­n est ici très claire : c’est le feu originel de l’expression­nisme allemand et de ses monstres naïfs que ravive le cinéaste, de vieux cauchemars enfouis dans la mémoire cinéphile auxquels il redonne toute leur vibration.

Après le succès surprise de The Witch aux Etats-Unis, Robert Eggers a déjà annoncé qu’il travaillai­t sur un nouveau projet : un remake du classique de Murnau Nosferatu. Evidemment. Romain Blondeau

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France