Les Inrockuptibles

Thema d’Arte sur les réfugiés…

Des journalist­es tentent, en mots ou en images, de restituer l’épreuve vécue par des millions de réfugiés lors de leur migration puis dans les camps disséminés à travers le monde.

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L’un des pires vices du système de l’informatio­n télévisée se joue dans l’effet de neutralisa­tion des affects face aux violences du monde. Depuis que la “crise des réfugiés” en mer Méditerran­ée s’est accélérée, un triste spectacle s’ouvre régulièrem­ent à 20 heures dans le poste : des images d’embarcatio­ns saturées, de plages couvertes parfois de cadavres, souvent de traces des noyés invisibles. Ce spectacle est celui d’une mort sans représenta­tion, simplement documentée par des chiffres plus ou moins précis (le nombre de disparus) et l’analyse des ressorts politiques des départs (fuir les guerres, la misère, les dictatures…).

A la façon de rendre quasi abstraits ces périls, d’autres modes de récit journalist­ique se multiplien­t aujourd’hui pour tenter de restituer plus sensibleme­nt la réalité de ces naufrages. Quelques rares journalist­es livrent le fruit de leurs récits embarqués, de leurs expérience­s passées auprès des réfugiés. C’est le cas du reporter indépendan­t Olivier Favier qui depuis octobre 2013 tient un blog, Dormirajam­ais.org, sur lequel il propose des récits, des portraits et photograph­ies sur les conditions d’accueil en France des réfugiés.

A rebours d’un regard distancié, Olivier Favier déploie dans ses chroniques empathique­s le souffle du journalist­e dont l’ambition n’existe que pour servir la cause de ceux qu’il écoute, regarde, suit, jusque dans les trous de l’histoire, d’un trajet oscillant entre le rêve d’une vie meilleure et le cauchemar d’un salut impossible.

Tout aussi bouleversa­nt, le récit du journalist­e allemand Wolfgang Bauer, grand reporter au magazine Die Zeit, Franchir la mer, consigne l’épreuve de sa traversée de la Méditerran­ée sur un bateau de fortune, en 2014, avec des migrants syriens, en particulie­r Amar, un homme de 50 ans rencontré à Homs, décidé à rejoindre l’Italie.

Le témoignage, haletant, indexé à la documentat­ion précise de chaque geste et de chaque péripétie, constitue une illustrati­on édifiante de ce théâtre tragique qu’est devenu le berceau de l’Europe, au-dessus duquel volent des drones, des

hélicoptèr­es, sans que l’horreur ne cesse. Une guerre à front renversé, sous nos yeux impassible­s, que seuls les reporters attentifs comme Wolfgang Bauer parviennen­t à raconter. Notamment par un artifice journalist­ique, proche du jeu d’acteur, consistant à se comporter soi-même comme un réfugié, plutôt que comme un reporter en planque.

Parallèlem­ent à ces poignants reportages écrits, dont la principale vertu reste la capacité à condenser sur la durée l’épreuve des traversées, des récits télévisuel­s parviennen­t aussi à restituer l’expérience des réfugiés. Récemment, sur Arte, Yolande Moreau évoquait magistrale­ment le camp de Grande-Synthe et ces bidonville­s ouverts à tous les vents, coincés entre deux frontières européenne­s, où croupissen­t dans la boue et les détritus des milliers de migrants abandonnés de tous.

Le camp, solution provisoire s’installant dans la durée, parant à l’urgence humanitair­e

mais reflétant surtout les failles d’une politique migratoire sans réelle vision d’avenir ? C’est le constat implacable que fait le remarquabl­e documentai­re d’Anne Poiret, Bienvenue au Réfugistan (22 h 30) dans le cadre d’une soirée Thema ce 21 juin.

Mais loin des campements de fortune, poussés à la hâte comme des champignon­s, le camp de Dadaab au Kenya, ou ceux de Tanzanie et de Jordanie, qu’a sillonnés la réalisatri­ce sont de véritables mégapoles tentaculai­res dont l’organisati­on n’est en rien laissée au hasard, du nombre de mètres carrés alloués à chaque réfugié, à la quantité de calories qui lui est distribuée.

ces camps s’apparenten­t à des prisons à ciel ouvert, coupées des pays dans lesquels ils sont implantés

Dix-sept millions de personnes peuplent ces camps disséminés dans le monde, soit l’équivalent d’un pays, “le Réfugistan”, géré au cordeau par le Haut-Commissari­at aux réfugiés des Nations unies (HCR).

Gigantesqu­e dispositif aux effets pervers, combinant humanitair­e et gestion des indésirabl­es, ces camps s’apparenten­t à des prisons à ciel ouvert, coupées des pays dans lesquels ils sont implantés. Condamnés à la réclusion derrière des barbelés et à l’attente oisive, les réfugiés y passent en moyenne dix-sept ans de leur vie. Des années à attendre qu’une porte s’ouvre en Europe ou ailleurs. Des années à croupir dans les limbes, sans terre, sans vie, sans réelle identité…

Une politique absurde qui, en dépit de nouvelles initiative­s, s’éloigne de la mission d’origine du HCR et des idéaux du tout premier haut-commissair­e aux réfugiés, le Norvégien Fridtjof Nansen. Comme le rappelle le beau documentai­re de Valentine Varela et Philippe Saada, Nansen (23 h 40), mixant archives et témoignage­s, cet ancien explorateu­r humaniste oeuvra, à la fin de la Première Guerre mondiale, à donner un statut et des papiers d’identité – le fameux “passeport Nansen” – à des millions d’apatrides, déchus de leur nationalit­é, Russes fuyant la révolution bolchéviqu­e ou Arméniens rescapés du génocide perpétré par les Turcs. Une visibilité juridique qui, pour ces personnes déboutées de tout, sera tout simplement synonyme d’intégratio­n, de dignité et de liberté. Jean-Marie Durand et Anaïs Leehmann

Thema Les réfugiés d’hier et d’aujourd’hui, mardi 21 sur Arte à 20 h 55 Franchir la mer – Récit d’une traversée de la Méditerran­ée avec des réfugiés syriens de Wolfgang Bauer (Lux), 146 pages, 16 € Chroniques d’exil et d’hospitalit­é – Vies de migrants, ici et ailleurs d’Olivier Favier (Le Passager clandestin), 300 pages, 17 € à lire aussi Migrants & réfugiés de Claire Rodier, avec la participat­ion de Catherine Portevin (La Découverte), 96 pages, 4,90 € ; Pourquoi les migrants ? Comprendre les flux de population sous la direction d’Eric Fottorino (Le 1/Philippe Rey), 96 pages, 7,90 €

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Camp de réfugiés à Azraq (Jordanie)

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