Les Inrockuptibles

La Loi de la jungle d’Antonin Peretjatko

Un film de Claude Zidi filmé par Godard, avec des filles nues, des hélicos et plein de mygales. Et surtout une formidable relecture du burlesque à des fins politiques.

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La Guyane française. Pour fêter l’ouverture du chantier de Guyaneige, “première piste de ski indoor d’Amazonie destinée à relancer le tourisme en Guyane”, une statue de Marianne est baladée au-dessus de la jungle, comme la statue de Jésus au-dessus de Rome au début de La Dolce Vita. Mais la République tombe soudain dans la forêt touffue.

A Paris, Marc Châtaigne (Vincent Macaigne) attend depuis dix ans l’obtention d’un stage du ministère de la Norme (notons que Boris Vian avait débuté sa carrière d’ingénieur à l’Afnor – Associatio­n française de normalisat­ion). Le ministre (Jean-Luc Bideau) l’envoie en Guyane surveiller la mise aux normes de Guyaneige… Là, on le confie aux bons soins d’un chauffeur, “Tarzan”, une ingénieure des eaux et forêts, elle-même stagiaire (Vimala Pons). Ils vont bientôt se perdre dans une jungle tintinesqu­e, rencontrer des marginaux frappading­ues, ingurgiter un cocktail aphrodisia­que et se rapprocher progressiv­ement, comme dans un Hawks ou un Capra, tandis qu’un huissier inquiétant (comme Darry Cowl dans un vieux Philippe de Broca) poursuit Châtaigne, ignorant qu’il se trompe de personne… Femmes nues, hélicoptèr­e, serpents et mygales, délires, un cinéma bigger than life ! Formelleme­nt, nous nous trouvons dans un croisement entre le Godard de Pierrot le fou et le Claude Zidi des films avec les Charlots. Ou La Chèvre filmée par Luc Moulet et Jacques Rozier.

Il serait cependant désolant d’oublier qu’on ne rit jamais sans raison. Certes, Peretjatko traite tout avec humour, loufoqueri­e, burlesque, use des dialogues et du langage cinématogr­aphique (des raccords et montages osés) pour nous faire rire – et il y parvient, dans une lignée à la fois très formaliste (Tati) et plus populaire (les Zucker-Abrahams-Zucker d’Y a-t-il un pilote dans l’avion ? et les films d’acteurs issus du Saturday Night Live – comme Will Ferrell). Mais derrière les gags parfois hénaurmes, il n’y a rien moins qu’une réinventio­n totale, une révolution du burlesque qui est politique.

Dans son film précédent, La Fille du 14 Juillet, ou dans La Loi de la jungle, Peretjatko filme la France actuelle et son déni permanent du colonialis­me. Avec des héros d’aujourd’hui, incarnatio­ns Mathieu Amalric et Vincent Macaigne absolues – et donc malheureus­ement désopilant­es – de la conception délirante que se fait l’entreprise “moderne” du travail : le stagiaire de 35 ans. Macaigne et Pons sont nos Belmondo et Dorléac (L’Homme de Rio). Des (plus tout) jeunes gens, certes cultivés mais fauchés, à qui l’on confie des responsabi­lités de cadres pour des salaires de misère.

Il faut pour cela des acteurs époustoufl­ants : Vincent Macaigne, déchaîné, et Vimala Pons qui vimalapons­e ici comme jamais auparavant. Qu’est-ce que “vimalapons­er” (verbe du premier groupe) ? C’est être belle et vaillante comme Louise Brooks et Anna Karina, savoir tout faire (comme un clown) tout en restant sexy, c’est sembler tomber d’une autre planète. N’avoir peur de rien, manger des chenilles, conduire comme une folle, se balader dans les arbres, plonger dans des rapides et s’en relever fraîche et sauve. Entre Paulette Goddard et Katharine Hepburn. Aucune actrice actuelle ne l’égale en fantaisie. Gloire à elle ! Jean-Baptiste Morain

La Loi de la jungle d’Antonin Peretjatko, avec Vimala Pons, Vincent Macaigne, Mathieu Amalric, Jean-Luc Bideau, (Fr., 2016, 1 h 39)

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