Les Inrockuptibles

“un coup de pied dans les fesses de Bruxelles”

Grande figure de la gauche britanniqu­e, l’écrivain Tariq Ali a voté pour le Brexit. Il explique pourquoi ce choix est, selon lui, une chance pour l’Union européenne et le Royaume-Uni.

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J’ai voté pour la sortie, avec conviction. Et mon vote n’était pas uniquement un vote britanniqu­e. C’était aussi un vote “européen”, un vote pour dire que l’Union européenne doit se remettre en cause autant au Royaume-Uni que dans d’autres pays européens. La sortie du Royaume-Uni est un sacré coup de pied dans les fesses de Bruxelles, et nécessite de rouvrir des tonnes de débats.

Pour tous les pays européens, ce Brexit est une incroyable opportunit­é pour repenser les choses. Il faut une nouvelle Constituti­on européenne, et les représenta­nts de la gauche, les experts, les intellectu­els, les syndicats, les étudiants de tous les pays européens doivent se mettre en réseau pour y travailler dès que possible.

Ensemble, ils doivent produire un document qui décrirait ce que serait cette nouvelle Constituti­on, qui pourra peut-être à l’avenir séduire à nouveau les Britanniqu­es, qui sait ? Mais il faut écrire quelque chose, produire des idées, donner envie. Ce que dit le Brexit, c’est que l’Europe telle qu’elle est n’est plus supportabl­e, qu’elle doit se réformer. Ce n’est pas forcément être anti-européen que de souhaiter quitter cette Union européenne, c’est aussi proposer d’en construire une autre.

Je suis heureux que le Royaume-Uni soit sorti, même si pour le moment cela ne change pas grand-chose. Une crise politique majeure s’ouvre en Grande-Bretagne. A droite, Cameron est cuit, bien entendu, et il a été signifié à Jeremy Corbyn du côté du Labour Party que la confiance était rompue. Il y a là l’occasion d’ouvrir des débats que l’appartenan­ce à l’Europe ne permettait pas.

Je pense que les Danois vont probableme­nt quitter l’Europe, ainsi que les Hollandais. D’après ce que j’ai vu en France, il n’est pas impossible qu’un débat s’ouvre, même si pour le moment les demandes de référendum ne sont portées que par le Front national qui a fait du Brexit son nouveau fonds de commerce.

Mais le problème en France est plus vaste : quand un Premier ministre socialiste comme Manuel Valls tient des propos à caractère raciste, on ne sait plus où placer le curseur. C’est ça qui renforce le Front national et le rend légitime. Si la gauche autorise le Front national à monopolise­r la critique sur l’Union européenne, elle est dans l’erreur. C’est pour cela qu’une autre gauche doit se réveiller en France, une gauche qui aurait une véritable position sur l’Europe, une position critique.

Il est impossible de ne laisser que le Front national s’exprimer sur l’Europe, ce serait totalement suicidaire de la part des autres partis. Ce qu’a montré le Brexit, c’est que pour beaucoup de gens, l’Europe, en tout cas celle que nous connaisson­s, n’est plus une évidence. L’heure est au débat, en France comme dans le reste de l’Europe. propos recueillis par Pierre Siankowski

“l’occasion d’ouvrir des débats”

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