“le triomphe de l’émotionnel”
L’écrivain anglais Will Self réagit au choix du Brexit. Entre tristesse et colère sourde.
Londres, le 24 juin
Comme beaucoup de Britanniques qui ont voté pour rester dans l’Union européenne jeudi dernier, je suis allé me coucher tôt ce soir-là, mais avec la perspective d’une nuit difficile. Environ trois semaines auparavant, j’ai commencé à réaliser que les sondages et les parieurs – sportifs ou financiers – avaient tort : je suspectais qu’il y avait dans les provinces un groupe important de votants potentiels pour le “leave” parmi la working class blanche, qu’ils négligeaient tous de prendre en compte.
De plus, je suis devenu de plus en plus convaincu que ces “rebelles” allaient être plus faciles à attirer dans les bureaux de vote que les supporters, détachés et cérébraux, du “remain”. En entendant un grand rugissement monter de la foule à l’annonce de la victoire pour les “leavers” à Sunderland, mon coeur s’est brisé : j’ai éteint la radio et me suis endormi.
Le lendemain matin, quand je me suis réveillé, le monde avait complètement changé : la démocratie relativement prospère que j’avais connue avait été balayée – ou du moins, cela en donnait l’impression – par une affreuse vague de populisme fanatique, ce même populisme déjà présent dans le corps politique britannique depuis quelques années. Mais, en France, vous savez déjà tout cela – tout comme vous avez déjà vu des générations successives de politiciens échouer à prendre en considération la déconnexion entre le peuple et eux-mêmes.
Pour les “remainers” britanniques scrupuleux, faire campagne a été une affaire sinistre. Nous avons eu, effectivement, à dire à ces gens, qui se sentent assez raisonnablement ignorés à la fois chez eux et dans l’arène européenne, “oui, les choses ne vont pas s’arranger si vous votez pour rester, mais croyeznous, elles empireront considérablement si vous votez pour partir”. Le résultat du référendum a été vu comme un triomphe du Britannique blanc sur l’étranger, le Noir ou le brun – du vieux contre le jeune, du conservateur contre le cosmopolite, de l’inexpérimenté contre l’éduqué, et de tous ceux qui jouissent de l’assurance de leur identité britannique contre ceux