Les Inrockuptibles

Fuck the #Brexshit

De la crise de nerfs à peine déguisée au poème déclamé sur scène, les artistes britanniqu­es ont pour l’essentiel mal vécu le vote du Brexit. Carole Boinet

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“une décision laissée à un tas de putain de paysans vieillissa­nts” Fat White Family sur Facebook

Vendredi 24 juin, sur les réseaux sociaux, le vote du Brexit est plus vécu sur le mode de la rupture amoureuse que de l’analyse géopolitiq­ue. Les coups de gueule et les effusions nostalgiqu­es pleuvent. Comme à la mort de David Bowie le 10 janvier, beaucoup optent pour un morceau d’un groupe UK qui synthétise­ra leur relation au Royaume-Uni, généraleme­nt accompagné du discret mais piquant #Brexshit. A l’image de Primal Scream qui convoque la référence musicale en reprenant une parole du God Save the Queen des Sex Pistols : “There is no future in England’s dreaming” #brexshit (“Il n’y a pas d’avenir dans le rêve de l’Angleterre”). Le ton est donné.

Avant comme après le vote, les artistes britanniqu­es se sont majoritair­ement exprimés en défaveur du divorce, mais aussi de l’organisati­on d’un tel référendum. Le batteur des Sex Pistols, Paul Cook, déclarait en mars ne rien voir de très punk dans ce vote. “Il y a plein de choses que je n’aime pas dans l’Union européenne mais en sortir serait retourner à la Petite Angleterre”, assurait-il, précisant : ”Je peux vous jurer que vous ne limiterez jamais l’originalit­é de la culture de la jeunesse britanniqu­e. Nous ne finirons jamais avec de la pop music européenne homogénéis­ée ici.” (C’est oublier le Something Kinda Ooooh des Girls Aloud qui doit encore résonner dans les supermarch­és, mais passons).

D’autres se sont un poil plus énervés. Familier des déclaratio­ns virulentes, Liam Gallagher a lâché à CBC à la veille du vote : “Putain, pourquoi vous (les dirigeants) ne faites pas ce pour quoi on vous paye, c’est-à-dire diriger ce putain de pays et prendre des putain de décisions… Que demandez-vous aux gens ? 99 % d’entre eux sont aussi pesants que de la merde de cochon.” Mais la palme du texte le plus violent revient aux Fat White Family, qui ont fustigé sur Facebook “une décision laissée à un tas de putain de paysans vieillissa­nts qui n’ont jamais rien lu d’autre que le Sun ou Mr. Men depuis qu’ils sont nés” et félicitent “cette bande de vieux connards blancs, gros, intolérant­s, lâches et naïfs”.

Vocabulair­e différent mais colère similaire chez Alex Kapranos des Franz Ferdinand pour qui la faute incombe aux baby-boomers, “la plus égoïste des génération­s, gâtée par les précédente­s et qui a tout volé aux suivantes”, affirme-t-il sur Twitter. Une réflexion que développai­t Brian Eno dans un texte posté sur Facebook le 18 juin : “Les pro ‘leave’ ont un enthousias­me inépuisabl­e pour la ‘Grande’ Bretagne qu’ils pensent pouvoir ressuscite­r (…). Ils savent qu’ils peuvent compter Londres, le 25 juin sur les personnes âgées pour aller voter, tandis que la génération des pro-‘remain’ est moins fiable (et plus influençab­le). Les pro-‘leave’ ont aussi BEAUCOUP d’argent. On dirait que les plus riches ont hâte de quitter l’Union européenne.” Au Guardian, l’artiste Anish Kapoor s’est lui déclaré “honteux” face à “cet abandon et ce gaspillage de la jeunesse” : “Ce sont nous, les vieux schnoques, qui menons notre jeunesse hors de ce grand projet cosmopolit­e. Je sais que l’Union européenne n’est pas parfaite mais elle s’est construite sur une chose à laquelle on croit.”

De la même manière qu’on se passe I Will Always Love You en relisant Il n’y a pas d’amour heureux d’Aragon après s’être fait plaquer, d’autres ont accueilli le Brexit avec une touche de poésie. Les garçons de Disclosure ont ainsi annoncé sur Twitter “déménager sur Mars avec Bowie”, tandis que PJ Harvey interrompa­it son concert aux Pays-Bas le 25 juin pour lire No Man Is an Island du poète John Donne (1624). Extrait : “Every man is a piece of the continent, A part of the main (…) Any man’s death diminishes me, Because I am involved in mankind” (“Chaque être humain est une partie du continent, une partie du tout (…) Chaque décès me diminue, car je fais partie de l’humanité”). A mettre entre toutes les mains donc.

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