Les Inrockuptibles

Spetters de Paul Verhoeven

Tandis que son récent Elle obtient un vif succès, réédition DVD en version restaurée d’un des plus beaux films de la période néerlandai­se du grand Verhoeven. nous donne une leçon, la leçon de Fientje : entrer dans l’humanité, c’est trouver un bon équilib

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Paul Verhoeven, c’est cet auteur de films qui a cruellemen­t refourgué au cinéma la tâche que Theodor Adorno assignait à la sociologie, celle de “comprendre l’incompréhe­nsible : l’entrée au pas de charge de l’humanité dans l’inhumanité”. Ce pas de charge a pour terrain le monde comme champ de bataille, où tout ordre se retourne en sa vérité élémentair­e : la suprême tendresse de l’anarchie. Le pacifisme brutal et l’ironie émancipatr­ice de Verhoeven triomphent dans les mêlées de la guerre des races ( Starship Troopers, RoboCop), des sexes ( Basic Instinct, Elle), des classes ( Turkish Délices, Black Book), de tous contre tous (La Chair et le Sang). Et puis il y a Spetters.

Ce film de 1980, qui sort en DVD, restauré, modifie la formule en un mouvement vers cet autre incompréhe­nsible que serait l’entrée en quatrième vitesse de l’humanité dans l’humanité – l’un des enjeux politiques de tout film d’initiation adolescent­e. Passage en force bien sûr, et qui ne fait pas moins mal que les autres. Spetters est un film de motos et un film d’amour, et il est si bon que le disciple le plus hardcore, ou simplement encore vivant, de bons vieux sociologue­s hollywoodi­ens comme Samuel Fuller ou Robert Aldrich n’en croirait pas ses yeux.

Trois jeunes hommes vivant dans une petite ville proche de Rotterdam, partagés entre leur passion pour la moto et leur quête de mauvais sexe, rencontren­t leur destin en la personne d’une vendeuse de frites nommée Fientje (Renée Soutendijk). Une histoire d’huile, qui est le cinquième élément d’un univers glissant composé de pièces de moteurs et de barquettes de junk-food. Mais laissons là le synopsis.

S’il y a bien quelque chose que le cinéma peut chanter, et qui intéresse tout le monde, c’est le triangle de l’argent, du sexe et de la mort – si l’on veut bien lui accorder qu’il n’y a rien d’autre ici-bas. Ces composante­s sont celle de la réalité, celle aussi du cinéma à condition qu’il travaille contre lui-même (puisque la plupart des films nous mentent à leur sujet), et celle de ce film en particulie­r.

Spetters

Si l’une prend un peu trop le dessus, tout fout le camp. Cette entrée, contre toute apparence et sans vous raconter la fin, n’est refusée ni aux pédés, ni aux femmes, malgré ce que continuent de croire ceux qui prennent la méchanceté absolue de Verhoeven pour autre chose qu’une recherche de l’honnêteté en amour, c’est-à-dire une morale du cas par cas : rien que de très classique. Qu’on se débrouille avec ça.

Et il y a le reste, les lumières des ambulances dans la nuit, les dérapages rugissants dans la boue, les plis que ça fait dans les draps, les sourires qu’on croise dans une journée : tout ce qui n’est pas la leçon mais quand même la vie, tout ce qui n’est pas la guerre, et qui reste quand même incompréhe­nsible. Luc Chessel

Spetters de Paul Verhoeven, avec Hans van Tongeren, Renée Soutendijk, Rutger Hauer (P.-B., 1980, 2 h 02), BQHL éditions, environ 17 €

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