Les Inrockuptibles

Ère de campement

A la Cité de l’architectu­re et du patrimoine, une exposition propose de comprendre “l’encampemen­t du monde” et ses implicatio­ns politiques.

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Il suffit de traverser les grandes villes ou de longer des frontières bloquées pour mesurer combien les campements se sont imposés comme un mode d’habitat généralisé. Dans ces camps, des naufragés vivent à ciel ouvert, survivent dans des tentes, des huttes ou des cabanes en bois, en attendant que s’ouvre un horizon bouché par les règles de circulatio­n.

L’exposition Habiter le campement éclaire précisémen­t les multiples visages de cet “encampemen­t du monde”. Une typologie documentée distingue six catégories d’individus “encampés” : les nomades, les voyageurs, les infortunés, les exilés, les conquérant­s, les contestata­ires. Les fonctionna­lités de ces campements varient ainsi selon les contextes géographiq­ues, culturels et politiques qui les abritent.

La commissair­e de l’exposition Fiona Meadows, entourée d’un conseil scientifiq­ue rigoureux (Michel Agier, Michel Lussault Arnaud Le Marchand, Saskia Cousin, Marc Bernardot, Clara Lecadet), propose un vaste plateau riche en images graphiques et témoignage­s oraux. La scénograph­ie, confiée à Jean Bellorini, Marion Canelas et au collectif 1024 (auteur d’une installati­on cinétique déstabilis­ante), restitue finement la variété des expérience­s d’habitation.

L’intelligen­ce de l’exposition tient à la réflexion qu’elle développe sur cette architectu­re vernaculai­re, souvent ingénieuse, au sein de laquelle s’invente un mode d’existence. Ce qu’elle cherche à saisir tient moins aux règles matérielle­s du campement qu’aux manières de le politiser. Comme l’ont mis en pratique les Indignés de la place Puerta del Sol à Madrid, il existe aujourd’hui un “art ménager” de l’occupation. Michel Lussault observe que la contestati­on a inventé un nouveau type de “résidental­isation”, qui bouscule autant l’ordre urbain que l’ordre politique.

Habiter le monde lorsqu’on est conduit à se déplacer, c’est habiter le déplacemen­t même. Beaucoup plus que des “non-lieux”, ces campements désignent une manière pleine d’investir collective­ment un lieu, qui reste elle-même la traduction d’une vie menacée et transitoir­e. Jean-Marie Durand

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