Les Inrockuptibles

L’assassin habite au cinéma

Le fait divers passionne le cinéma depuis ses origines. Analyse de cette relation à travers une haletante histoire de cinéma par Frédéric Bonnaud.

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Voici un assassinat : s’il est politique, c’est une informatio­n, s’il ne l’est pas, c’est un fait divers”, écrivait Roland Barthes dans Structure du fait divers en 1964. Le fait divers serait ainsi le “rebut inorganisé des nouvelles informes”. Il ne renvoie qu’à lui-même et s’apparente à ce titre à une sorte de conte ou de nouvelle.

Ce n’est donc pas un hasard que le cinéma se soit passionné pour le fait divers depuis ses origines. Tout en lui, par-delà ses multiples variations, conditionn­e la promesse d’un récit qui fascine les foules. Dans le passionnan­t deuxième volet de ses Histoires de cinéma, Frédéric Bonnaud, ancien directeur de la rédaction des Inrocks, se penche sur l’histoire de ces affinités électives entre le cinéma et le fait divers, à travers de nombreux entretiens et citations de films.

Avec The Lodger d’Alfred Hitchcock en 1927 et M le maudit de Fritz Lang en 1931, la figure du tueur en série s’est imposée comme le profil d’un personnage qui ne cessera de proliférer au cinéma. A cause de son opacité psychologi­que, de l’impossibil­ité de conférer un quelconque sens à ses actes irréductib­les, le tueur obsède autant qu’il inspire les cinéastes. Son mystère est une machine à fantasmes, un ouvroir de cinéma potentiel.

Comme le souligne Joachim Lafosse, réalisateu­r d’A perdre la raison, inspiré de l’affaire Geneviève Lhermitte, cette femme qui avait assassiné ses cinq enfants, s’il y a des “actes monstrueux”, “il n’y a pas de monstre”. C’est cet écart entre le personnage et l’acte que sondent tant de cinéastes, dans un rapport plus ou moins frontal à la violence, mais aussi à la morale du tueur et de la société effrayée. Comme le pensait déjà Truman Capote (De sang-froid), des cinéastes comme Cédric Anger (La prochaine fois je viserai le coeur) ou Nicole Garcia (L’Adversaire) auscultent moins la psyché de leurs assassins qu’ils ne s’attachent à décrire de manière chirurgica­le leurs gestes et leurs peurs.

Pour autant, dans la continuité d’une tradition instaurée par le néoréalism­e italien (Giuseppe De Santis, réalisateu­r de Onze heures sonnaient), certains perçoivent aussi dans le fait divers la part éclairante d’une société défaillant­e. Lorsqu’il se penche sur le cas de Jean-Claude Romand dans L’Emploi du temps, Laurent Cantet filme le contexte sourd de la pression sociale qui s’exerce sur son personnage.

Depuis Fritz Lang et Luchino Visconti (Les Amants diabolique­s), et de Charlie Chaplin (Monsieur Verdoux) aux frères Dardenne (L’Enfant), les grands cinéastes n’abandonnen­t jamais leurs personnage­s à leur obscure épaisseur et les raccrochen­t à une dimension “humaine”, que le cinéma a le génie de découvrir. Si les faits divers “font diversion” dans le monde de l’informatio­n, selon l’expression de Pierre Bourdieu, ils offrent la meilleure des digression­s aux cinéastes attentifs à la folie des hommes. Jean-Marie Durand

Histoires de cinéma : la passion du fait divers documentai­re de Frédéric Bonnaud et Florence Platarets. Mercredi 29, 23 h, Arte

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