Les Inrockuptibles

Alain Krivine

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“en 1970, Rocard me prenait sur la gauche !”

“Je l’ai connu dans les années 1960. Il était au PSU, qui incarnait à l’époque la gauche de la gauche : Jacques Sauvageot était au PSU, tout comme Marc Heurgon. La Ligue communiste avait des rapports fraternels avec le PSU, qui était né de la fusion du Parti socialiste autonome – une scission de gauche du PS –, de catholique­s de gauche et de l’Union de la gauche socialiste. Michel Rocard lui-même était très à gauche. En 1970, nous avons fait un meeting ensemble à Rennes pour soutenir les soldats emprisonné­s et obtenir leur libération. Il y avait des flics à l’extérieur, l’ambiance était tendue, et parfois il me prenait même sur la gauche ! (rires).

Je me souviens qu’il était toujours assez incompréhe­nsible quand il parlait. On avait un mal fou à saisir ce qu’il racontait. Il s’embrouilla­it, ne terminait pas ses phrases, avait un vocabulair­e compliqué. On le suivait difficilem­ent. Il a ensuite viré à droite – en tout cas, il est devenu social-libéral. Il a quitté le PSU en 1974 pour rejoindre le PS, comme l’a fait mon beau-père Gilles Martinet (cofondateu­r du PSU en 1960 – ndlr) deux ans avant. Il a eu une évolution de l’extrême gauche à la droite du PS.” propos recueillis par Mathieu Dejean

“un rendez-vous manqué de la gauche avec l’histoire”

“On n’a toujours pas fini de payer le prix du congrès du Parti socialiste de Metz de 1979. Le choix de François Mitterrand contre Michel Rocard explique encore aujourd’hui la crise morale de la gauche. C’est le choix du cynisme florentin et de la pompe monarchist­e contre une forme de sincérité en politique. Le dégoût actuel de la politique vient de ce que les politiques ne font pas ce qu’ils disent, et inversemen­t. Bien sûr, Rocard n’était pas parfait. Mais la gauche a préféré Jacques Séguéla et un ancien collaborat­ionniste à une figure incarnant l’ambition post-68 d’une société plus ouverte. Qu’il n’y en ait pas eu de traduction présidenti­elle est un rendez-vous manqué de la gauche avec l’histoire. Rocard avait un sens éthique, contrairem­ent à la gauche actuelle. A l’inverse de la manière dont on le présente traditionn­ellement, il avait l’ambition de transforme­r la société française par la politique. Est-ce que cette ambition existe aujourd’hui ?” propos recueillis par A. L. (alors vice-président de l’UNEF et membre de la branche étudiante du PSU – ndlr), qui voulait durcir le mouvement contre la police. L’année d’après, il s’est opposé à Alain Badiou, qui était au PSU à l’époque, et qui avait développé l’idée que le mouvement de Mai avait été vaincu parce qu’il n’a pas osé ‘aller jusqu’au bout de la violence ouvrière’. Rocard n’a pas laissé passer cela, par crainte qu’on finisse comme les Brigades rouges. Il a mis cette question à l’ordre du jour du congrès post-68. Il estimait qu’on devait éviter la violence d’avant-garde. Pour lui, le changement social devait se faire d’abord par la mobilisati­on des masses.” propos recueillis par M. D. Bernard Ravenel, membre du PSU de sa fondation en 1960 à sa dissolutio­n en 1989, est l’auteur de (éd. La Découverte)

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