Les Inrockuptibles

Le Siècle de Claude Lévi-Strauss

Portrait autobiogra­phique et théorique du grand anthropolo­gue.

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documentai­re de Pierre Assouline. Mercredi 6, 22 h 45, Arte

Dès les premiers plans du portrait que Pierre Assouline consacre à Claude Lévi-Strauss – un montage fluide d’entretiens, d’archives privées, photos et films de sa collection personnell­e, le tout uniquement porté par la voix de l’anthropolo­gue –, une évidence s’impose : la figure tutélaire du structural­isme n’aura jamais aussi bien servi la philosophi­e qu’en s’en éloignant. En sortant de la chambre noire, des positions de repli et de surplomb, auxquelles sa formation le destinait, pour aller “courir le monde” à la rencontre des Bororo ou des Nambikwara… Délaissant

volontiers les bancs de l’université de São Paulo où il enseignait la sociologie depuis 1935, il passe de longs mois auprès de ces peuplades d’Amazonie, dont il tire une expérience de l’altérité radicale, alors même que l’ethnologie n’en était qu’aux balbutieme­nts.

“Les sociétés dites primitives ne le sont pas plus que nous, mais elles le sont en ce qu’elles souhaitent rester dans l’état qu’elles s’imaginent avoir été celui de leur création. Elles abolissent le temps. (…) Moins que la différence de croyances, de coutumes, de règles sociales, on voyait surgir un certain fonds d’humanité commune entre elles et nous.” A partir de cette intuition, il jettera plus tard les bases d’une nouvelle méthode, l’anthropolo­gie structural­e : une science permettant d’organiser et de rendre accessible “l’effroyable diversité et multiplici­té des apparences qui sont nos données brutes”.

A l’image de son ouvrage le plus célèbre, Tristes tropiques, dont Lévi-Strauss révèle la genèse et la constructi­on musicale, le film mêle volontiers la narration autobiogra­phique aux aspects théoriques de son oeuvre, dont la portée scientifiq­ue ne cesse de rayonner, dessinant au fil des propos le caractère dual et parfois contradict­oire de l’auteur. Immersion empirique et puissance théorique, sensibilit­é artistique et inflexion rationalis­te, indépendan­ce vis-à-vis des institutio­ns et attachemen­t infatué aux rites de l’Académie Française, emprise dans le siècle, que ses travaux sur les mythes, la pensée sauvage ou les structures de la parenté n’auront cessé d’éclairer, et détachemen­t, apolitisme déclaré, retrait aristocrat­ique d’une époque qu’il n’aimait pas. Ce qu’il nommera en somme le “regard éloigné”… Anaïs Leehmann

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