Les Inrockuptibles

Schwarzy à nu

Entre émerveille­ment enfantin, émotion cinéphile et acuité critique, Jérôme Momcilovic décortique le mythe Schwarzene­gger. ( Polarisé par quelques oeuvres chéries

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D’Arnold Schwarzene­gger, on connaît le destin hors norme, le chemin en forme de storytelli­ng parfait qui l’a mené de son petit village natal d’Autriche aux cimes hollywoodi­ennes, des podiums des concours de bodybuildi­ng au fauteuil de gouverneur de la Californie. Ces vies successive­s aux frontières poreuses ont tissé, autour d’un corps tout en démesure, une incarnatio­n exacerbée du rêve américain à la fin du XXe siècle.

Mais Schwarzene­gger, plus qu’un produit de son époque dont il constitue un miroir parfois déformant, est son propre produit, un self-made man au sens le plus littéral du terme. Auto-engendré par les puissances conjuguées du corps et d’une ambition sans limites, né une nouvelle fois à l’écran par le geste créatif de cinéastes conscients de sa charge de fascinatio­n, d’érotisme et de puissance (James Cameron, John McTiernan, Paul Verhoeven), Schwarzene­gger est venu au cinéma comme un messager, annonciate­ur d’un nouveau paradigme des corps.

Le premier ouvrage de Jérôme Momcilovic, critique et rédacteur en chef des pages cinéma du magazine Chronic’art, plonge avec appétit dans les entrailles (ou les muscles) de l’homme devenu mythe, en choisissan­t une structure par motifs, un cheminemen­t par hypothèses qui ne s’éloigne jamais des films et de la mise en scène. En se basant sur des scènes matriciell­es, marquantes ou décisives (le Terminator effectuant une opération chirurgica­le sur son propre corps, le face-à-face entre Alan “Dutch” Schaefer et le Predator…), l’auteur s’amuse à une déconstruc­tion quasi anatomique du corps de l’acteur et de ses mouvements, met à nu les mécanismes de constructi­on de son image, révèle les gimmicks et les contradict­ions de ses rôles.

Terminator, Predator, Total Recall, Last Action Hero), l’étude évacue rapidement la piste rabâchée du surhomme nietzschée­n pour s’aventurer sur des sentiers plus inattendus, envisagean­t par exemple le corps et les rôles de l’acteur comme un trait d’union entre les origines foraines du 7e art et le devenir de l’homme. Schwarzene­gger fait ainsi régulièrem­ent figure de fantasme eugéniste voire posthumain (fusion de l’homme et de la machine, cyborg, clone), dont les rêves se doublent d’angoisses profondes, liées notamment à son irrémédiab­le devenir image. Prodiges d’Arnold Schwarzene­gger tente ainsi d’esquisser les contours d’un géant désormais usé et mélancoliq­ue, et à travers lui d’un cinéma encore sidéré par son apparition. Alexandre Büyükodaba­s

Prodiges d’Arnold Schwarzene­gger de Jérôme Momcilovic (Capricci éditions), 264 pages, 18 €

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