Les Inrockuptibles

Cher Cyrille Eldin

- Par Christophe Conte

J’imagine cette scène, qui aurait pu se produire cet été, quelque part au large en Méditerran­ée. A bord de son yacht encore habité des souvenirs heureux du printemps 2007, Vincent Bolloré aurait réuni ses deux fils préférés, ses faux jumeaux cathodique­s portant le même prénom à deux lettres près.

A Cyril, le grand mogul de Vivendi aurait simplement attribué pour mission de ne pas toucher à Touche pas à mon poste, sinon pour faire toujours plus vil et débile – “Ressers-toi du rosé, champion, c’est du bon” – afin d’aspirer tout ce que la France compte d’ados mal démoulés et d’illettrés congénitau­x.

A toi, Cyrille, il aurait offert une cible à l’effigie de Yann Barthès avec ce mot d’ordre : “Tu vas aller m’allumer ce traître et sa bande de gauchistes bobos en Stan Smith et dire que Le Petit Journal se passera bien de leur propagande moralisatr­ice.” Et puis, entre deux blinis-tarama (“Du vrai, fiston, j’ai mon propre élevage de saumons”), Vincent aurait pris pour comparaiso­n les nouveaux Guignols, une réussite que tout le monde a salué : “J’ai claqué le PIB du Bénin en latex pour le cul de Kim Kardashian mais va pas me dire que c’est pas poilant !”

Cyril regarderai­t l’horizon en pensant à la future séquence où Matthieu Delormeau imiterait Michou avec des chenilles vivantes dans le slip, toi tu regarderai­s tes chaussures bateau. Même les mouettes auraient un peu honte. Qu’allais-tu faire dans cette galère, Eldin reporter, l’histrion des Quatre-Colonnes, le gentil poil à gratter que les hommes politiques redoutent autant qu’une mouche insignifia­nte sur leur crème caramel à la cantine de l’Assemblée ? “Vous aimez Fernand Raynaud, Cyrille ?”, aurait ajouté Bollo avant que tu ne te réveilles en sueur de ce cauchemar IVe République. Bientôt la rentrée, faudra bien y aller, s’asseoir dans le fauteuil de Barthès comme sur une chaise électrique, déclarer sans y croire que toi, justement, tu n’y resterais pas, sur le fauteuil. “Mon Petit Journal sera plus bordélique. Et plus proche du public”, as-tu fanfaronné dans Le Monde, taclant celui, “un poil moralisate­ur” de ton prédécesse­ur. Plus proche du néant aurait été plus juste, Cyrillou, car franchemen­t, au bout d’une semaine, les mots nous font défaut pour décrire cette purge quotidienn­e, et cette impression tragique d’avoir échangé une Formule 1 contre une Autolib’. En panne, de surcroît.

L’idée d’envoyer une bloggeuse mode (Sandrine Calvayrac) et une comédienne (Mathilde Warnier) se prendre râteau sur râteau dans les réunions publiques, à moins de viser un sponsoring Jardiland, on ne voit pas vraiment l’intérêt.

Et avec toi, l’homme qui murmure à l’oreille de Macron, le frimeur qui envoie des textos à Hollande pour épater sa meuf, le troll embedded des visites officielle­s en province, l’impertinen­t badgé de la com politique, le John Paul Lepers en carton (d’invitation), Le Petit Journal sera bel et bien devenu minuscule. “Reprends de l’eau plate”, aurait chambré le big boss, juste avant le naufrage.

Je t’embrasse pas, t’as déjà coulé.

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