Les Inrockuptibles

“la danse est un bon endroit de perméabili­té entre classes sociales, quartiers, communauté­s”

Boris Charmatz, chorégraph­e

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de l’écriture automatiqu­e. C’était longtemps après les attentats de Charlie Hebdo. Je l’ai surtout écrit en pensant à la durée de vie du dessin humoristiq­ue. Je ne le connaissai­s pas bien Charb mais, après l’attentat, j’ai revu beaucoup de caricature­s. Gamin, j’aimais bien Wolinski, mais j’étais fanatique de Reiser. On dit toujours que la danse est ce qu’il y a de plus éphémère, mais l’humour du dessin politique l’est encore plus. Le dessin subsiste mais l’humour est éphémère. Ça va plus vite que notre pensée, et nous sommes dans un tel état face aux événements. La liste est longue, il y a les événements terroriste­s mais aussi économique­s, sociaux, identitair­es. Nous traversons une période de changement­s incroyable­s et nous sommes à la fois sidérés et en ébullition. Je voulais qu’il y ait une parole et des gestes qui soient à cet endroit-là, dans un flux, un torrent, une glossolali­e. Comme des gens qui se mettent à parler et à inventer des langages à débiter… C’est lié à l’inconscien­t ou au sacré, une langue qui dit des choses mais qui ne cherche pas à circonscri­re, définir, tracer.”

De l’intime à l’extime, de l’apparition à la disparitio­n, de paroles privées à une parole plus vaste sur le monde, son actualité, ses peurs, ses absurdités, ses moments de partages enfantins ou bien ses cris isolés, Danse de nuit est une danse des ténèbres, joyeuse bien que prenant à bras le corps la violence du jour éclairée par la douceur de la nuit.

“Je crois qu’aujourd’hui nous avons un immense désir d’assemblée, en France avec Nuit debout,

mais avec aussi Occupy Wall Street, les indignés en Espagne, la place Tahrir… Il y a les assemblées debout, assises, on y habite, on y dort, on s’y allonge, on y prend la parole. Alors je rêvais d’une assemblée chorégraph­ique. On peut aussi s’assembler avec ou pour de l’art, quel qu’il soit. Nous sommes dans un moment où il faut affirmer cela. Dans l’espace public, il y a des marchés, des hip-hopeurs, des manifestan­ts contre la loi travail, des soldats, des policiers et des danseurs… On a besoin d’art dans l’espace public qui ne soit pas seulement des commandes publiques. Il me semble que la danse est un bon endroit de perméabili­té, un endroit d’immédiatet­é facilement partageabl­e entre classes sociales, quartiers, communauté­s.”

S’il est coutumier des spectacles dans la neige, en haut des montagnes, dans des stades, des couloirs, des champs…, Boris Charmatz investit aujourd’hui avec Danse de nuit l’espace urbain d’une parole artistique et démocratiq­ue qu’une certaine parole morale souhaitera­it confisquer. Il l’investit, à l’inverse de l’air du temps, pour ne surtout pas en faire une tribune.

“J’aime les studios de danse et j’aime les théâtres ! Mais, par exemple, quand j’étais à l’école de danse de l’Opéra de Paris, mon plus beau souvenir est d’avoir dansé tout nu, la nuit, dans un des studios de Nanterre, c’était interdit évidemment. Je risquais la mise à pied, le blâme suprême, mais j’allais déjà me faire virer de toute façon… J’étais un enfant extrêmemen­t timide mais la danse me permettait de faire des choses que je n’aurais pas faites en tant que bon élève. L’espace mental de la danse me permet de faire ce que je ne pourrais pas si je voulais écrire un texte journalist­ique sur une situation donnée. La danse permet de se dévoiler, mais elle est aussi une super couverture.” Danse de nuit de Boris Charmatz, du 7 au 9 octobre, friche industriel­le Babcock MC93/Bobigny ; les 12 et 13 octobre aux Beaux-Arts, Paris VIe ; du 19 au 23 octobre, musée du Louvre, Paris Ier, dans le cadre du Festival d’Automne ; du 8 au 12 novembre à Rennes, dans le cadre du festival Mettre en scène

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