Les Démons de Philippe Lesage
Plongée dans la vie psychique d’un enfant de 10 ans. Un beau premier film canadien. La violence, dans est au coeur de la vie,
Voilà un beau film, le premier long métrage de fiction d’un documentariste canadien, Philippe Lesage. Rien de neuf sur le papier : le monde vu par les yeux d’un garçon de 10 ans. Félix fait comme tous les enfants. Il se lève la nuit pour aller écouter les adultes parler dans la pièce du dessous. Il se met sous les tables. Il observe, il espionne, saisit des bribes de mots, pas toujours le sens. Il tombe amoureux de la jolie professeure de gymnastique qui n’est pourtant pas gentille avec lui.
Quand il est triste, il danse avec sa grande soeur et son grand frère. Quand ses parents se disputent (très belle scène, très chorégraphiée – le père est joué par le grand Laurent Lucas, qui se fait rare en Europe), les enfants les séparent. Il n’est pas toujours gentil, Félix, surtout avec un garçon de son âge qui devient son souffredouleur. Et pourtant le temps s’écoule le plus souvent avec douceur. Des événements graves se trament, adviennent, mais la vie continue comme si de rien n’était.
Lesage monte son film sans jamais distinguer ce qui est sérieux de ce qui ne l’est pas. Est-ce que Félix le sait lui-même ? Et les grandes vacances arrivent. Et on comprend au spectacle de ces joies familiales estivales qu’elles ne dureront plus longtemps. La caméra saisit la fragilité des sentiments, des êtres, leurs vibrations dans toutes choses. Il est déjà trop tard, et c’est la rentrée.
On sait aussi depuis le début qu’un tueur de jeunes garçons sévit dans la région… Il y a un loup dans la forêt de l’enfance de Félix, mais il y a le hasard qui sauve les uns et tue les autres, une grande soeur intelligente qui comprend toujours tout (et là on pleure). Les Démons,
mais elle n’est pas surdramatisée comme dans 95 % des fictions, et c’est ce qui est intéressant. Alors on pense souvent à ce cinéma qui nous plaît tant, qui se veut non pas léger (bien au contraire), mais qui n’insiste pas, laisse suggérer la douleur (pour qui veut bien la sentir) sans forcément la montrer : le cinéma de Mikhaël Hers (Ce sentiment de l’été), de Mia Hansen-Løve (L’Avenir), et peut-être aussi le film d’Axelle Ropert, Tirez la langue, mademoiselle. Ce cinéma minimaliste européen qui ne fonctionne qu’avec la sensibilité du spectateur, son acceptation d’un abandon.
On pourra reprocher à Philippe Lesage un formalisme (parfois) un petit peu clinquant (de brillants mouvements de caméra parfois trop construits), un usage trop important de la musique. Mais il se dégage de son film quelque chose d’intemporel (à quelle époque sommes-nous ?), qui dépasse toutes les cages psychosociologiques : ses personnages sont des individus, pas des cas. Et son jeune acteur, Edouard Tremblay-Grenier, lui aussi petit garçon intemporel et unique à la fois, rappelle infiniment les jeunes acteurs de L’Argent de poche de François Truffaut. Jean-Baptiste Morain
Les Démons de Philippe Lesage, avec Edouard Tremblay-Grenier, Laurent Lucas, Sarah Mottet, Vassili Schneider (Can., 2016, 1 h 58)