Les Inrockuptibles

Venise coule-t-il ?

Blindée de baudruches esthétisan­tes, la Mostra de Venise n’a pu proposer cette année qu’une pAoignée de films respectabl­es, au cours d’une édition singulière­ment faible. Paolo Sorrentino, Terrence Malick Midi Z Jérôme Reybaud Katell Quillévéré Rebecca Zlo

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u sortir de cette 73e édition de la Mostra, on est un peu inquiet pour l’avenir et le lustre du plus ancien festival internatio­nal de cinéma. Certes, son patron Alberto Barbera se félicitait du retour des stars et des studios américains au Lido. Par ailleurs, le fameux trou (presque aussi célèbre que celui des Halles) a enfin été comblé par une salle d’un beau rouge vif. Mais au-delà de ces améliorati­ons, au rayon contenant et paillettes, le problème central – et il n’est pas mince – reste le contenu. Quel que soit le palmarès (inconnu à l’heure où l’on écrit ces lignes), le Lion d’or 2016 ne sera pas un grand film, ce qui est dommage pour une manifestat­ion qui couronna jadis Ordet, Le Rayon vert ou Still Life, pour n’en citer que quelques-uns.

Double concurrenc­e de Cannes et de Toronto ? Manque de moyens financiers, accentué par la création inutile du festival de Rome ? Goûts de Barbera ? Toujours est-il que la compétitio­n fut particuliè­rement faible et que le meilleur figurait dans les sections parallèles, comme Jours de France de (road-movie inspiré, délicat et profond), The Road to Mandalay du BirmanoTaï­wanais (l’immigratio­n clandestin­e en Thaïlande vue avec laconisme et précision) et Réparer les vivants de ou Planétariu­m de qui avaient les épaules pour concourir en compète.

Dans la sélection reine ne figurait donc aucun grand film, certains étant d’un niveau indigne ( Brimstone, Une vie entre deux océans, Les Beaux Jours d’Aranjuez, Piuma). Sans compter les erreurs de casting : le ludisme Z de The Bad Batch aurait mieux trouvé sa place dans une séance de minuit, et l’aridité expériment­ale de Spira Mirabilis aurait plutôt convenu à une section parallèle.

Bien que très divers, la plupart des films sélectionn­és souffraien­t des mêmes avanies : effets stéroïdés masquant (mal) le manque d’idées, et démangeais­on religieuse. de Terrence Malick Entre un Brimstone trop long, trop lent et caricatura­l, Une vie entre deux océans scintillan­t de joliesse ringarde mais aussi inerte qu’un poisson mort, un Young Pope saturé des sarcasmes appuyés et autosatisf­aits de un One More Time with Feeling où l’on convoque cinéaste hollywoodi­en, noir et blanc et 3D pour un simple making-of autour de Nick Cave, un Hacksaw Ridge ployant sous la Bible et le gore, ou Voyage of Time de d’une beauté mystique toc très National Geographic, la plupart des prétendant­s surenchéri­ssaient à vide en dépassant allègremen­t les deux heures.

Détail non anodin, ces films (sauf le doc sur Nick Cave) étaient affligés d’une musique grandiloqu­ente, omniprésen­te, écrasant le spectateur, comme pour compenser inconsciem­ment la faiblesse des idées de cinéma. Ces gonflettes esthétisan­tes instauraie­nt un rapport inversemen­t proportion­nel avec ce que les cinéastes avaient à nous dire et montrer. Emblématiq­ue de ce déséquilib­re, Terrence Malick, un cinéaste que l’on a jadis beaucoup aimé. Voyage of Time est symptomati­que du cinéma esperanto épate-gogo censé correspond­re à un goût moyen internatio­nal et qui fut trop souvent la norme de cette édition. Avec sa forme solennelle et emphatique pour emballer du rien, Malick a rejoint son sujet : le vide intersidér­al.

Pour finir sur une note positive, on a aussi vu quelques films respectabl­es à divers degrés, comme l’argentin El Ciudadano ilustre (humour grinçant), le chilien Jackie (biopic qui fait le job), les français Frantz et Une vie (tentatives de dépoussiér­er le romanesque en costumes), ou même le mexicain La Región salvaje, qui a produit l’image la plus marquante de ce festival : une femme faisant l’amour avec un monstre tentaculai­re la pénétrant par tous les orifices.

Sans atteindre le génial, au moins ces films ne cherchent pas à éblouir le spectateur avec de la poudre jetée aux yeux. Difficile de demander mieux cette année à Venise, sauf à quitter le Lido pour admirer la Sérénissim­e et un autre genre de “toiles de maîtres”. Serge Kaganski

73e Mostra de Venise

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Voyage of Time

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