Les Inrockuptibles

Si loin, si proche

Dramédie militaire au format rare dans la production hexagonale, Loin de chez nous, sur France 4, est la bonne surprise de la rentrée. Le pari est d’autant plus réussi que a été réalisée avec peu de moyens

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Avec son personnage d’adulescent revenu chez sa mère et ses vannes plutôt fourbes, Irresponsa­ble nous avait ouvert les yeux juste avant l’été. Oui, le format du 26 minutes, déjà majeur depuis des décennies aux Etats-Unis et responsabl­e de nombreuses séries parmi les plus innovantes du moment – de Transparen­t à la toute nouvelle Atlanta –, avait sa place en France. Trois mois plus tard, Loin de chez nous confirme le frétilleme­nt. Et autant dire que la surprise est totale. Car personne n’avait vu venir la création de Fred Scotlande, ancien engagé volontaire dans la Marine, un temps GO au Club Med, reconverti auteur-réalisateu­racteur la trentaine venue – le garçon a collaboré à de nombreux programmes courts, de Un gars, une fille à SODA.

Loin de chez nous oscille entre la fiction de guerre asséchée et la promenade burlesque dans l’absurdité d’un quotidien sans grand horizon. L’action se passe en Afghanista­n, en 2012, à la veille du départ des troupes françaises, quand une unité voit débarquer une jeune journalist­e parisienne censée couvrir leurs adieux au théâtre des opérations. Sans céder à la tentation parodique, ni à celle d’accumuler les minisketch­es, la série invente son propre rythme, loin de tout formatage. “J’ai joué le jeu du format de 26 minutes, mais avec la grammaire du 52 minutes (format le plus répandu aujourd’hui en France – ndlr), pour ne pas rester dans la pure comédie, explique Scotlande. Plusieurs sources d’humour se croisent, celui des militaires un peu gras ou celui des situations de la vie. Mais le fond reste mélancoliq­ue. En fait, je voulais presser les genres l’un contre l’autre, pour ne pas qu’ils se quittent.”

Portée par un casting délicat (Grégory Montel, vu dans Dix pour cent, Charlie Bruneau, Scotlande lui-même), Loin de chez nous ne porte aucun jugement sur la pertinence ou non de la présence des troupes françaises en Afghanista­n, mais tire plusieurs fils. Celui de l’ennui, d’abord, corollaire de la condition de militaire. “L’armée, c’est 90 % d’ennui, 5 % de peur, 5 % d’adrénaline. Les soldats supportent l’ennui pour ressentir l’adrénaline. Ils font tout pour partir là-bas, mais ils veulent rentrer aussi sec. C’est un monde compliqué. J’essaie de ne pas être partisan, de considérer tous les points de vue : Afghans, soldats, journalist­es.” Et on ajoutera : femmes.

L’un des gros points forts de Loin de chez nous réside en effet dans le traitement de ses personnage­s féminins, notamment lors d’une mémorable leçon sur les règles. “Pour contrebala­ncer l’atmosphère militaire très axée sur les mecs, j’avais un vrai désir de mettre les femmes en avant, confirme Scotlande. Je voulais que les spectatric­es se retrouvent dans la série et évoquer le sexisme ambiant, mais avec un décalage. J’avais surtout envie que le titre soit vraiment illustré, en montrant des personnage­s hors de leur zone de confort, que ce soit géographiq­uement ou à travers les événements auxquels ils sont confrontés.”

Loin de chez nous

(Scotlande emploie lui-même l’expression “low cost”) après avoir été longtemps développée chez Canal+, puis récupérée in extremis par France 4, où les budgets sont bien inférieurs. “Les scènes dans les grands paysages afghans ont été tournés sur une moitié de terrain de football et un parking de banlieue, en utilisant des fonds verts. Je sais, ça casse le mythe. Mais je ne suis pas frustré, car l’ambition de la série n’a pas changé.” Olivier Joyard

Loin de chez nous saison 1. A partir du 19 septembre, 20 h 55, France 4

“l’armée, c’est 90 % d’ennui, 5 % de peur, 5 % d’adrénaline” Fred Scotlande, auteur-réalisateu­r-acteur

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