Les Inrockuptibles

“1981, une grande illusion décue”

Magyd Cherfi, le chanteur de Zebda, se souvient de sa jeunesse dans une cité. Un livre drôle et politique. – Dans ce livre plein d’humour

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J’étais obsédé par l’idée qu’il fallait raconter cette histoire française qui est la mienne. Un peu comme un devoir de mémoire.” On rencontre Magyd Cherfi dans le jardin de sa maison d’édition, à Paris. Celui qui est avant tout connu pour être le chanteur du groupe Zebda vient d’arriver de Toulouse pour parler de son livre, un texte autobiogra­phique sur l’année 1981. Alors que la gauche arrive au pouvoir, il vit dans une cité d’urgence où il est le premier à passer, et obtenir, son bac. “Cette année ne m’a jamais quitté”, avoue-t-il. Page après page, Magyd Cherfi énumère les déchiremen­ts de cette vie de fils d’immigré algérien sous la coupe d’une mère aimante et tyrannique. “Elle allait voir mes profs tout le temps, menaçait de prendre un couteau et mettre du sang partout si j’échouais”, se souvient-il dans un sourire. Le petit Magyd travaillai­t bien à l’école, n’est pas allé en CAP mais au lycée, dans le centre-ville, ce qui lui a ouvert un autre monde. Aujourd’hui, Cherfi pose un regard en demi-teinte sur tout cela : “J’étais le Noir qu’on civilise. Ils voulaient montrer ce que l’école républicai­ne peut faire. Moi, petit, je comprenais ça, j’ai toujours été lucide. Mais je me suis dit qu’il y avait de bonnes choses à prendre. On allait me fourguer Flaubert et Balzac, et aussi des jeunes filles quand dans le quartier c’était ‘touche pas à ma soeur’.”

La première cassure familiale se cristallis­e autour de Mitterrand. Il fait peur aux parents, à cause de son rôle dans la répression durant la guerre d’Algérie, quand Magyd et ses copains espèrent beaucoup de son arrivée à l’Elysée. Aussi ce livre n’est pas seulement une histoire personnell­e, plutôt celle de la France vue depuis une cité d’urgence. “Nous, la deuxième génération, on est d’abord français. C’est à cause d’une société qui nous dit faites pas chier qu’on devient des Beurs. On proposait à Mitterrand l’égalité des droits, il nous a offert une carte de résident. Pendant trente ans, je suis resté figé sur cette grande illusion déçue.”

“J’ai toujours été comme ça, je ne décroche pas la déconnade du sérieux” Magyd Cherfi rend hommage à ceux qui, dans la cité, participai­ent à l’atelier théâtre et organisaie­nt du soutien scolaire pour les plus petits. “C’était l’influence de l’extrême gauche, se souvient-il. Des éducs maoïstes, par militantis­me, venaient se confronter à ce prolétaria­t chamarré. Leurs conviction­s – il n’y a ni frontières ni nationalit­és, on est tous des êtres humains, etc. – nous conduisaie­nt à adhérer à l’idée collective et à la cause prolétarie­nne. Je ne suis pas un idéologue, mais écrire peut être considéré comme un acte militant.”

Sans angélisme, il décrit aussi le machisme et la violence d’une partie des jeunes de sa cité, lui qui se faisait insulter parce qu’il aimait lire : “Dès le moment où on avait les mots, c’est qu’on était passé à l’ennemi.” Le livre se termine sur la création du groupe Zebda, avec des potes de lycée. Le début d’une autre aventure. Sylvie Tanette

les parents se méfient de Mitterrand à cause de son rôle dans la répression en Algérie

Ma part de Gaulois (Actes Sud), 272 p., 19,80 €

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