Les Inrockuptibles

Une enfance africaine

Une ode nostalgiqu­e à l’enfance, des rêves cotonneux du plus jeune âge à l’enfer du génocide rwandais. Un beau premier roman signé Gaël Faye. Si les romans sont souvent écrits pour quelqu’un, ce livre l’est sans doute pour elle, cette mère disparue trop

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Un jeune homme seul, dans un bar de Saint-Quentinen-Yvelines, se soûle le soir de ses 33 ans. Les souvenirs de son enfance l’obsèdent. Le Burundi, ce “pays maudit” comme l’appelle sa soeur Ana. Un éden trop vite détruit par des parents qui se déchirent, la guerre au Rwanda voisin, les massacres de plus en plus proches d’eux. Gabriel raconte le temps d’avant, “avant tout ça, avant ce que je vais raconter et tout le reste, c’était le bonheur, la vie sans se l’expliquer”. Et puis on bascule dans autre chose.

Sa conscience s’éveille avec le putsch du 21 octobre 1993 au Burundi, les paradoxes de son métissage lui explosent alors à la figure, dans l’attitude des uns et des autres à son égard. L’hostilité des amis d’hier, l’isolement du reste du monde, l’angoisse des nuits blanches passées sur le qui-vive, à guetter le moindre bruit. Les figures parentales redevienne­nt des êtres humains comme les autres face au danger, à la fois faibles, lâches, mesquins et parfois courageux. Son père, “petit Français du Jura arrivé en Afrique par hasard”, jurant en entendant la musique classique diffusée à la radio, une tradition dès qu’il y a un coup d’Etat dans le pays. Jacques, l’ami belge au racisme décomplexé. Sa mère, de plus en plus absente aux autres et à soi-même. De sa désertion du domicile familial à son exode pour retrouver les siens, de l’autre côté de la frontière, au coeur des massacres de Tutsis, son absence hante le narrateur. C’est toute la beauté et la force du roman, cette façon d’écrire le manque, l’attente et les espoirs déçus comme une sorte de leitmotiv paradoxal.

Cette mère qui reste malgré tout présente à Gabriel, lui permet d’avancer au fur et à mesure que la réalité s’assombrit. Un retourneme­nt de situation comme un réflexe vital, une façon de survivre à l’insupporta­ble. Nul doute qu’on entendra encore parler de Gaël Faye, auteur très remarqué de cette rentrée littéraire. Yann Perreau

Petit pays (Grasset), 224 pages, 18 €

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